Diogène, Jean-Léon Gérôme
- — Le monde se divise en trois : ceux qui font chier, ceux qui s’emmerdent et ceux qui vendent la merde. Sans doute pour éviter d’appartenir à la deuxième catégorie, les premiers sont aussi très souvent les derniers. À moins qu’ils n’aient même commencé par là. Cette vérité devient d’ailleurs proprement évangélique quand leur succès les fait immanquablement tomber dans cette deuxième catégorie qu’ils voulaient tant éviter et qui a tout du défunt purgatoire.
- — L’âme n’est pas à l’intérieur de l’individu, elle est plutôt ce qui le rive au monde et marque leurs lisières respectives. Le savoir et la culture sont ses aires, et l’art son balisage. Et la conception religieuse qui dit que l’âme est le nom même de notre rapport à Dieu est profondément vraie, si du moins Dieu est tout ce qui apparaît, pour reprendre une ancienne étymologie grecque. L’âme est toujours le lieu de l’Autre incarné. Elle participe de l’Autre. Sans lui, elle n’est qu’un gaz intestinal qui se prend pour le souffle du monde.
- — Jusqu’au XVIIIe siècle, le français était la langue de l’étiquette dans toutes les cours d’Europe. Aujourd’hui, l’anglais est la langue des étiquettes dans tous les centres commerciaux du monde. Sic transit…
- — Le milieu des affaires est tellement inculte que pour cacher sa nudité sur ce plan, il a inventé la culture d’entreprise.
- — Au matin, l’haleine de la plus belle fille du monde rappelle inexorablement la matière et la mort.
- — Dieu est le remords du chaos.
- — L’avant-dernier président américain se laissait manifestement un peu trop diriger par sa queue ; celui d’après tenait visiblement à prouver qu’il avait des couilles ; il était temps que le plus haut dirigeant de la plus grande puissance au monde fasse enfin confiance à des organes situés un peu plus haut. Il l’a fait et mal lui en a pris : tous les fanatiques des bas morceaux se sont coalisés contre lui.
- — La province répond toujours à la condescendance amusée de la métropole par une arrogance d’autant plus violente que, le plus souvent, rien ne la justifie.
- — La mort nous reste inconcevable. Et c’est précisément ce qui nous tient en vie.
- — La véritable pensée, l’invention, l’art, meurent désormais tous les jours dans l’à quoi bon d’un enfant qui s’essayait à voler sous les éclats de rire. Car à quoi bon cet envol vers ce qu’on ne maîtrise pas et qui seul mérite d’être tenté, si déjà la pensée la plus vulgaire, la plus facile, la plus rudimentaire, on vous dit, justement, qu’on ne la comprend pas et qu’il faudrait un peu l’ajuster à l’obtuse simplicité de cet abruti de public.
Notice biographique
Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969. Outre des centaines d’articles dans des revues universitaires québécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012. Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, XYZ, Esse, Etc,Ciel Variable, Zone occupée). En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe. Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)