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Concentration

Publié le 08 novembre 2014 par Morduedetheatre @_MDT_

dispersion-affiche470Critique de Dispersion, d’Harold Pinter, vu le 28 octobre 2014 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Carole Bouquet de Gérard Desarthe, dans une mise en scène de Gérard Desarthe

Ma première expérience avec ce texte est tout à fait particulière : d’abord, parce que c’était mon premier Pinter, ensuite car c’était une lecture, une mise en espace, et non une véritable mise en scène. Car c’est au Festival Nava que j’ai découvert cette pièce, incarnée par Anne Loiret et Jacques Allaire. J’avais été totalement déroutée, décontenancée, face à ce texte tout à fait imbitable à première lecture, complètement décousu, où les personnages se parlent mais ne se répondent pas, où tout reste mystère. Mais cela m’avait marquée, et j’en garde finalement un assez grand souvenir. Pour ma deuxième rencontre avec le texte, je pense que je n’aurais pas pu mieux tomber.

Du peu de Pinter que je connais, cette pièce est clairement la plus déconcertante. On y découvre un homme et sa femme, Devlin et Rebecca, qui discutent. Ils discuteront durant toute la pièce mais on ne sait pas exactement quand cela se passe, et sur quelle durée. Il semble l’interroger sur un amant qu’elle aurait eu, il essaie de comprendre plus précisément la relation qu’ils auraient entretenu. Mais elle répond à côté. Elle parle d’un homme qui la brutalisait, puis d’un bourreau qui arrachait les enfants des mains des femmes, un homme qui aurait eu un lien avec les camps de concentration. Est-ce le même homme ? On ne sait pas. Parfois même, on se demande si elle entend ses questions. Tout se passe comme si tout se mélangeait en elle : son histoire, et l’Histoire. A-t-elle tout imaginé ? Ne raconte-t-elle pas tout simplement un cauchemar ?

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J’ai d’abord détesté ce texte, bêtement, parce que je ne le comprenais pas. Il ne m’atteignait pas et, trop vite, j’ai décrété que je ne l’aimais pas. Mais en découvrant d’autres textes de l’auteur, en apprenant à connaître sa plume, ce sentiment premier s’est transformé en curiosité. Et redécouvrir cette pièce montée par Gérard Desarthe s’est finalement avéré un réel plaisir. Car si Pinter laisse de grandes questions derrières son texte, Desarthe en comble certaines mais laisse, à la manière de l’auteur, d’autres énigmes dans son travail. Ainsi ces phrases entières tirées du texte et qui font partie du décor amènent à penser Rebecca comme prise au piège d’une Histoire dont elle fait partie malgré elle et dont elle ne peut s’échapper. Elle perd le spectateur dans des dires qui ne concordent pas, mais semble pourtant toujours suivre son idée. Pour elle, tout est fluide. Pour son mari qui l’écoute, tout n’est qu’énigme sans réponse, casse-tête à moitié terminé.

La mise en scène de Gérard Desarthe met en avant toutes les folies Pinteriennes : après un noir en début de spectacle, les lumières deviennent très intenses et le blanc du décor éblouit le spectateur. Avant même que le spectacle ne commence, quand nos yeux peinent à s’accoutumer à l’éclairement, on semble, à l’instar de Rebecca, sortir du sommeil. Et l’interrogatoire peut commencer. La sobriété de la pièce, le blanc aveuglant des murs, le fait qu’il soit souvent debout et elle assise, tout laisse à croire que l’interrogatoire est fait dans les règles de l’art : serions-nous dans une cour de justice ? Doit-elle avouer quelque chose ? Tout semble opposer nos deux personnages : lui se déplacera beaucoup, agité par des questions qu’il ne peut plus retenir, alors qu’elle se tiendra là, assise, les sourcils froncés, remuant nerveusement ses mains. Gérard Desarthe est grand, et sa présence sur le plateau est lourde et imposante. Elle semble une minuscule souris à côté de lui. Mais si il parvient à toujours étonner le spectateur, en l’impressionnant sans cesse, c’est moins le cas pour Carole Bouquet. On regrette un peu sa voix toujours sur le même ton, et son visage trop figé. Cependant, cette monotonie semble  due à la direction d’acteur plus qu’au mode de jeu de l’actrice, qui ainsi met en opposition totale les deux personnages, et accentue la végétativité de Rebecca.

On frissonne et on aimerait que Desarthe sème encore quelques indices pour nous éclairer toujours plus sur la signification de cette énigmatique mais grandiose pièce de Pinter. ♥ ♥ ♥ 

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