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Ah, les petites anglaises !

Publié le 30 novembre 2014 par Dubruel

d'après DÉCOUVERTE de Maupassant

Sur le bateau qui va

De Cannes à Bastia:

J’ai rencontré Paul Ferry,

Un vieil ami.

Je ne l’avais pas vu depuis dix ans.

Tout en causant,

Nous regardions les passagers.

Soudain, Paul me dit :

-« Ici,

C’est plein d’Anglais !

Oh ! Les sales gens ! »

Les gentlemen, debout, lorgnaient

L’horizon d’un air important.

Les jeunes misses, les épaules serrées

Dans des châles aux couleurs délavées,

Portaient des chapeaux tarabiscotés.

Les vieilles misses aux visages émaciés

Paraissaient menacer

La mer de leurs dents jaunes et démesurées.

Paul répéta :

-« Oh ! La sale engeance !

Ne pourrait-on pas

L’empêcher de venir en France ? »

Je lui demandai :

-« Pourquoi en veux-tu aux Anglais ?

Moi, ils me sont parfaitement

Indifférents. »

Paul ajouta :

-« Peut-être pour toi

Mais j’ai épousé une anglaise, moi. »

-« Ah ! Diable. Et elle t’a trompé ? »

-« Non,…elle apprend le français !

Je n’avais aucune envie de me marier

Quand, voici deux ans,

Je vins passer l’été

À Fécamp.

J’y ai rencontré

Un ménage anglais

Dont la fille était une merveille,

Un ange venu du ciel.

Une blonde

Aux yeux bleus,

De ces yeux bleus

Qui semblent contenir toute la poésie,

Toute l’espérance, tout le bonheur du monde !

Quand elles se mettent à être jolies,

Les anglaises, ces gredines,

Elles sont divines.

Ce qui m’a le plus séduit, c’est …son…

Défaut de prononciation.

Quand elle faisait une faute de français,

Elle était exquise et quand elle baragouinait

De façon inintelligible,

Elle devenait irrésistible.

Quand elle disait : « J’aimé bôcoup la gigotte. »

Mon cœur s’enflammait, saperlotte !

Je ne la comprenais pas au début

Tant elle inventait des mots inattendus.

Puis je devins absolument amoureux

De son jargon comique et gai.

Sur ses lèvres, tous les termes estropiés

Prenaient un charme délicieux.

Le soir, nous avions

De longues conversations

Qui ressemblaient à des énigmes parlées.

Je l’ai épousée !

Je l’ai aimée follement

Comme on peut aimer un Rêve.

Car les vrais amants

N’adorent jamais qu’un rêve

Qui a pris la forme d’une femme.

Tant que ma femme

A martyrisé

Le dictionnaire

Et supplicié la grammaire,

Je l’ai adorée.

Le tort que j’ai eu, ce fut de la confier

À un professeur de français.

Elle parle à présent,

Français à peu près correctement

Mais elle est devenue un perroquet

Et je ne peux plus la supporter. »

-« Où est ta femme ? »

-« Je l’ai laissée chez ses parents à Cannes.

Et je vais me changer les idées

Dans l’île de Beauté. »


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