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Un livre, un lieu

Par Ellettres @Ellettres
(c) Pascal Campion

(c) Pascal Campion

Reprenant à mon profit l’excellente idée de Romanza du blog « Plume de Feu », je me livre moi aussi à un petit exercice d’ego-lecture : me remémorer les livres que j’ai lus en des lieux et des moments précis. Beaucoup de livres m’ont marquée, mais peu dont je me souvienne le contexte de leur lecture. Ceux-là ont peut-être bénéficié d’une alchimie particulière entre le lieu et le livre ? Est-ce dû plutôt au livre ou plutôt au lieu ? Mystère, mystère…

Été 1994 : l’intégrale de la « Petite Maison dans la prairie » (les livres, pas la série télé !) dans une maison nouvelle d’un pays étranger, le Mexique, dans lequel mes parents, mes frères et moi venons de nous installer. J’ai huit ans bientôt neuf, je ne me console pas d’avoir dû laisser ma première vraie meilleure amie dans notre petit bourg provençal et je découvre une mégapole tentaculaire, une langue inconnue, des espaces immenses, une végétation luxuriante, des animaux bizarres (les seuls chiens sans poils du monde notamment). Mais mon cœur reste insensible aux charmes fantastiques du Mexique : les pionniers de l’ouest américain occupent déjà la place, et surtout cette famille Ingalls, une famille de filles comme j’en rêve, avec un papa qui joue de l’harmonica à sa fille face au soleil couchant. Je m’identifie tellement aux personnages qu’un jour, avant de tomber dans les pommes (ce qui m’arrivait souvent dans un Mexico perché à 2000 mètres d’altitude dont les particules d’oxygène, déjà raréfiées, étaient imbibées de pollution), j’ai eu le temps de dire à ma mère : « Oh je deviens aveugle comme la grande sœur de Laura. » Je ne suis pas devenue aveugle, Dieu merci, et quand j’ai repris mes esprits j’ai pu finir de lire la série, puis je l’ai relue et re-relue et… Bref, ma passion pour la famille Ingalls est devenue une blague dans ma famille.

Noël 1999 ou 2000 je ne sais plus : je lis « Les Misérables » en deux tomes (en sautant tous les passages descriptifs mais en relisant trois fois les chapitres avec Gavroche et en pleurant à chaque fois à la fin). Nous campons sur une plage déserte du Pacifique avec plusieurs familles amies, à l’égal des vieux routiers canadiens qui voisinent à un kilomètre de nous. Chaque matin au lever du soleil, le sable doux et chaud accueille nos pieds fourmillants à la sortie de nos tentes, et nous prenons notre bol de Chocapic devant le spectacle inlassable des vagues et des pélicans (avec une fois une baleine qui a pointé ses fanons dans la baie). Nos corps ont pris la couleur du pain d’épice ; nous vivons en maillot de bain. C’est dans cet Eden primitif, entre le body surf et la chasse aux bigorneaux, que je vibre au rythme des aventures de Jean Valjean, des malheurs de Cosette, des folles journées révolutionnaires de 1830. La détente des corps et des esprits avait peut-être favorisé mon enlisement dans ce roman total.

Fin 2003 : dans ma petite piaule d’étudiante, dans la pluvieuse ville de Poitiers que je connais pas, je lis « Derrière la vitre » de Robert Merle, un récit romancé des événements de l’université de Nanterre en 1968 (où l’auteur était professeur). Je découvre mai 1968, ses acteurs, « Dany le rouge » et les autres, son langage, son atmosphère, ses idéologies qui s’entrechoquent avec les désirs fiévreux de la jeunesse. L’histoire récente s’incarne pour moi et devient un objet d’étude. Mais surtout je découvre un merveilleux romancier dont je dévorerai tous les romans, mis à part la saga « Fortune de France » (l’objet d’un prochain challenge personnel, pourquoi pas ?).

Août 2005 : je viens d’arriver à São Paulo pour y réaliser une année d’échange à l’université, je ne connais quasiment personne et je ne suis pas encore inscrite à la bibliothèque de ma fac d’adoption. J’achète mes livres dans les étals de rue pour quelques reais. Et Dieu sait pourquoi, cet été-là je n’ai lu que la prose ésotérique de Herman Hesse : « Le loup des steppes », « Narcisse et Goldmund », « Demian »… le tout en portugais bien-sûr. J’ai arrêté au milieu de « Siddharta » pour me mettre enfin à la littérature brésilienne et je n’ai jamais relu cet écrivain.

Automne 2006 : « Longtemps je me suis couché de bonne heure… » et levé aussi, aurais-je pu rajouter lors de mes longs trajets en RER et en métro pour me rendre à mes cours de Master qui ne m’intéressent pas. Je les mets à profit pour lire « Du côté de chez Swann » dans l’édition de la Pléiade (piquée à mon petit frère qui se pique de bonne littérature et de beaux livres ;-)). Ça semble cliché que de le dire, mais découvrir Proust en touchant du papier bible donne à l’expérience un petit quelque chose de sacré. Les fameuses métaphores de l’écrivain en prennent que plus de relief, on s’ensevelit littéralement dans la lecture dont l’effet un peu hypnotique est accentué par le roulis du métro. J’ai essayé de lire « A l’ombre des jeunes filles en fleur » dans une vieille édition poche un peu rêche, je n’ai pas pu terminer… :-( (avis à ceux qui ne savent pas quoi m’offrir en cadeau !)

Juillet 2010 : depuis le Brésil j’ai appris à aimer la poésie pour elle-même, ayant compris qu’il ne fallait pas l’aborder sous l’angle de la raison mais de l’émotion. Il faut croire que la lusophonie s’y prête bien car cet été-là je passe trois semaines solaires à Lisbonne, une capitale qui se situe aux tout premier plan de ma géographie personnelle. Là je me saoule de sonnets de Fernando Pessoa et de paroles de fado sur les placettes et les vues panoramiques de cette ville à étages. Et j’en discute passionnément entre la poire et le café avec un Brésilien, un Arménien et une Française épris de littérature. Tudo fixe!  

De repenser à tout ça m’a donné l’envie d’introduire un peu de poésie sur ce blog. J’ai décidé que pour bien démarrer la semaine, je publierai un poème tous les dimanche, un poème en français de préférence (mais avec peut-être les traductions en langue originale pour les poèmes d’écrivains étrangers), de n’importe quelle époque. Je suis ouverte aux propositions car je suis loin de connaître suffisamment de poèmes, notamment ceux de poètes contemporains.

Décembre 2013 : « Jane Eyre » de Charlotte Brontë (en anglais please!). J’ai eu un coup de foudre pour cette oeuvre. Je l’ai dévorée lors de vacances à la montagne, après de bonnes journées gorgées de soleil en compagnie de Monsieur Illettres. Le soir je m’installais confortablement dans un canapé avec une boisson chaude et je me plongeais dans les affres et la passion de Jane Eyre et de son maître. J’ai apprécié également de pouvoir le lire et bien le comprendre en langue originale, ce dont je ne me croyais pas capable pour une oeuvre « classique ». Ce qui est drôle c’est qu’en revanche, je n’ai jamais réussi à « accrocher » avec l’autre grande femme de lettres anglaise, Jane Austen, pourtant une des chouchoutes de la blogosphère littéraire… Je promets toujours de me remettre aux intrigues d’Elizabeth Bennet et de Darcy, mais elles ne me tirent ni les larmes que m’a inspirée Jane Eyre, ni la compassion de la narratrice de « Rebecca », ni les sourires des héroïnes d’Elizabeth Von Arnim ou de Nancy Mitford. Next time…


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