« Kenji avait emprunté de l'argent à des gens qui
n'étaient pas une banque pour ouvrir un restaurant qui n'avait pas de clients.
Forcément, quand les prêteurs sont revenus, c'était pas pour Goûter les plats. »
Alors oui, forcément, il a pris cher Kenji. Mais les choses ne sont pas si simples,
les policiers chargés de l’enquête vont s’en rendre compte. Le procès verbal de
la nuit du 26 octobre montre à quel point les événements se sont enchaînés de
manière étrange avant et après l’agression subie par Kenji dans son restaurant.
Et s’il s’avérait que les yakuzas n’étaient pas venus pour lui mais pour la
seule cliente qu’il avait eue ce soir-là ? Et si cette jeune femme était
la clé de voute de cette soirée dont chacun se souviendra longtemps ?
Pour sa première intrusion dans la fiction après deux
excellents carnets de voyage (Tokyo Sanpo et Manabé Shima), Florent Chavouet
fait fort et se lance dans une trépidante course poursuite dans les rues de
Shioguni (je ne suis pas certain que cette ville ou ce quartier existe d’ailleurs,
mais peu importe). Il y met en scène des gangsters pieds-nickelés, des
policiers pas fute-fute, un chauffeur de taxi aigri, un cuisinier revanchard,
un tigre en liberté et surtout une insaisissable gamine qui tire les ficelles
sans avoir l’air d’y toucher. Ça peut paraître foutraque de prime abord mais
les pièces du puzzle s’imbriquent petit à petit lorsque l'on découvre les éléments venant
peu à peu s’ajouter au rapport de police qui sert de fil conducteur à l’intrigue.
Chavouet met sa virtuosité graphique au service de l’histoire sans jamais tomber dans l'exercice de style et le résultat est bluffant. Sa science du cadrage fait mouche, même si la
prise de risque est permanente. L’objet-livre en lui-même est superbe avec sa
couverture cartonnée maousse costaud et ses pages saturées d’encre qui dégagent
une odeur entêtante.
Un conseil : accrochez votre ceinture avant d’ouvrir
cet album parce qu’il va à cent à l’heure et ne vous lancez pas si vous n’êtes
pas certain de pouvoir tout lire d’un coup, il doit vraiment se savourer sans
interruption du début à la fin.
Petites coupures à Shioguni de Florent Chavouet. Picquier,
2014. 180 pages. 21,50 euros.