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Cauvin, Wallerstein, Julliard, Michéa, Rey, Bourdon...et le capitalisme !

Par Alaindependant

« Les cinq auteurs de ce livre, nous dit Bernard Léon, ne pensent pas que la crise mondiale du capitalisme « débouche sur des révolutions semblables à celles du passé, survenant dans tel ou tel Etat-nation ». Le capitalisme à leurs yeux n'est pas un « espace physique qui pourrait être investi par une foule révolutionnaire ou devenir la cible de manifestations idéalistes ». D'où un certain optimisme de leur part, qu'on pourrait éventuellement leur reprocher, car la mise sous tutelle des Etats par la finance et les entreprises transnationales ne risque-t-elle pas de faire apparaître l'ensemble du monde politique comme au service de celles-ci, et dès lors responsables, au risque d'entraîner de nouvelles formes de luttes irrationnelles. Leur optimisme est volontaire. « Une crise des structures fondamentales de l'économie politique du monde moderne ne se traduira pas nécessairement par un scénario d'apocalypse ». On aimerait les croire... »

Les croire ou ne pas les croire, l'essentiel n'est-il pas de se faire son opinion !

Michel Peyret


Dépasser le capitalisme. L’actualité éditoriale nous interpelle.

02 DÉCEMBRE 2014 |  PAR BERNARD LEON

La fin, ou le dépassement, du capitalisme est un sujet d’actualité. Plusieurs livres récents en témoignent : « La fin du capitalisme »de Christian Cauvin (L’Harmattan), « Le capitalisme a-t-il un avenir ? » de Wallerstein (La découverte), mais aussi « La gauche et le peuple » de Julliard et Michéa (Flammarion). D’autres les complètent. « Une question de taille » de Olivier Rey (Stock) et« Petit manuel de désobéissance citoyenne » de William Bourdon (JCLattès).

L'intérêt du livre : « le capitalisme a-t-il un avenir ? » est d'aborder la question sous l'angle de la sociologie. Cinq auteurs y échangent leurs points de vue et ils ne sont pas toujours d'accord sur les scénarios alternatifs.

Pour eux, nous avons affaire à une crise structurelle bien plus importante que la grande récession de 2008.

Immanuel Wallerstein pense que le système capitaliste pourrait s'effondrer car bientôt incapable « de faire face aux coûts sociaux et environnementaux de sa production », et se voir confronté à « une véritable paralysie en matière de décisions d'investissement ». Ajoutant que, malgré son dynamisme, il ne peut manquer de se heurter à des limites systémiques, ainsi qu'il en va de tous les systèmes historiques.

Randall Collins  met l'accent sur un mécanisme plus spécifique : « les conséquences politiques et sociales du chômage structurel de masse qui guette jusqu'aux deux tiers des classes moyennes éduquées, du fait des nouvelles technologies ».

A noter au passage que Collins et Wallerstein avaient déjà prédit la fin du communisme soviétique dans les années 70.

Collins analyse dans son chapitre les cinq soupapes de sécurité qui, par le passé, ont permis au capitalisme de surmonter les coûts sociaux de sa dynamique irrépressible d'innovation technologique. Mais « aucune d'elles ne semble aujourd'hui suffire pour compenser la tendance au chômage technologique qui menace le secteur de l'administration et les services »…. Or, rajoute-t-il, « la nouvelle vague d'innovations technologiques tend à rendre la classe moyenne superflue. La fin du capitalisme pourrait donc être provoquée par la disparition de sa base politique et sociale au sein de la classe moyenne ».

Craig Calhoun estime, lui, « qu'un capitalisme réformé pourrait être sauvée. Car le capitalisme n'est pas seulement une économie de marché, mais aussi une économie politique. C'est sur le terrain de la politique que ses contradictions structurelles peuvent être surmontées, ou bien au contraire laissées libres de déployer leurs effets destructeurs ».

Michael Mann, favorable à une solution de type social-démocrate au problème capitalisme, « met aussi en évidence des problèmes encore plus profonds liés au caractère multicausal des sources du pouvoir ». Une complexité « qui rend l'avenir du capitalisme très difficile à prévoir ». Mann, évoquant la crise écologique qui comporte le risque de déboucher sur des conflits,  y voit un risque d'augmentation de réaction politique de type totalitaire. Pour lui « la crise du changement climatique est difficile à surmonter car elle a partie liée avec l'ensemble des institutions mondialisées : le capitalisme, en tant que poursuite effrénée du profit ; des États-nations, jaloux de leur souveraineté ; les droits des consommateurs individuels ». Pour résoudre la crise écologique, il faudra dit-il « une transformation majeure du cadre institutionnel de notre existence actuelle ».

Alors, qu’est ce qui nous attend ?

Pour l'ensemble des auteurs, « il y a pour les systèmes historiques diverses façons de dépérir…  Il se pourrait tout simplement que le dynamisme des structures économiques et politiques s'essouffle, et cela pourrait entraîner la fragmentation du monde en plusieurs blocs hostiles, oppressif ou xénophobes… Mais, pour rétablir l'ordre social dans un contexte très conflictuel, on peut tout aussi bien imaginer un recours à des moyens qui évoqueront plus le fascisme qu'un approfondissement substantiel de la démocratie ».

Mais l'ouvrage affirme aussi que c'est justement « l'aggravation structurelle des problèmes du capitalisme avancé qui font du socialisme le candidat le plus plausible à sa succession…. Sans oublier cependant que le socialisme a ses propres problèmes, dont le principal est une forme d'organisation hyper centralisée qui est largement ouverte à la voie du despotisme politique et au déclin progressif du dynamisme économique ».

Ce qui fait dire à Collins que le monde oscillera entre diverses formes de capitalisme et de socialisme au fur et à mesure que ces systèmes seront confrontés à leur carence respective.

Pour Derluguian, la société qui remplacera le capitalisme, quel qu'en soit la forme, ne ressemblera pas au modèle communiste, car les conditions historiques du socialisme de forteresse ont disparu.

Les cinq auteurs de ce livre ne pensent pas que la crise mondiale du capitalisme « débouche sur des révolutions semblables à celles du passé, survenant dans tel ou tel Etat-nation ». Le capitalisme à leurs yeux n'est pas un « espace physique qui pourrait être investi par une foule révolutionnaire ou devenir la cible de manifestations idéalistes ».

D'où un certain optimisme de leur part, qu'on pourrait éventuellement leur reprocher, car la mise sous tutelle des Etats par la finance et les entreprises transnationales ne risque-t-elle pas de faire apparaître l'ensemble du monde politique comme au service de celles-ci, et dès lors responsables, au risque d'entraîner de nouvelles formes de luttes irrationnelles.

Leur optimisme est volontaire. « Une crise des structures fondamentales de l'économie politique du monde moderne ne se traduira pas nécessairement par un scénario d'apocalypse ».

On aimerait les croire. Mais la lecture d'un autre livre : « Une question de taille » de Olivier Rey, chercheur au CNRS, mathématicien et philosophe, nous ramène à un pessimisme auquel on aimerait échapper. On y trouve un raisonnement parallèle à celui des cinq sociologues de l'ouvrage précédent. De même que le capitalisme semble à leurs yeux en voie de s'auto détruire, c'est la modernité, pour Olivier Rey, (s'appuyant sur les analyses de Lyotard,) « qui, comme processus, finit par venir à bout de la modernité comme époque ». Les visées actuelles a écrit Lyotard, « obéissent à un principe, celui de l'optimisation des performances.

Ce sont donc des jeux dont la pertinence n’est ni le vrai, ni le juste, ni le beau, etc. mais l’efficient : un ‘’coup’’ technique est ‘’bon’’ quand il fait mieux et/ou quand il dépense moins qu'un autre ». En vérité, nous dit Olivier Rey, le ‘’développement’’ « tel qu'il a été conçu et continu de l'être est une impasse et, étant donné notre incapacité à rebrousser chemin quand il en était encore temps, nous ne ferons pas l'économie d'une catastrophe ». Rajoutant : « il n'y a pas de sens à imaginer entre des milliards d'individus une solidarité comparable à celle qui peut unir l'équipage d'un vaisseau… Un danger à même de souder un petit groupe à l'effet inverse sur une masse… Le danger commun, loin de favoriser l'assistance mutuelle, induit alors l'égoïsme individuel ou de groupe ».

Que conclure ?

Difficile de départager des analyses qui portent chacune une part de vérité, à défaut de « la vérité ». Et comment faire une synthèse utile ? En allant chercher, provisoirement certainement, chez d’autres, de quoi rebondir.

Tout d’abord chez Christian Cauvin, qui a donné à son dernier ouvrage, cité en début d’article, comme sous-titre :« la nécessaire invention d'un monde nouveau ». Il en appelle à une résistance contre le système « actuellement encore dominant », et propose quelques chantiers car « la lucidité n'interdit pas l'action dès lors qu'elle évite les pièges du volontarisme et de la naïveté ». Un chantier sociétal pour situer la place du travail dans une société qui programme largement sa disparition. Et des chantiers consacrés à l'activité bancaire, à la fiscalité et aux monnaies, dont l'euro.

Ensuite, dans l'ouvrage de l'avocat William Bourdon, qui en appelle lui aussi à résister dans son « Petit manuel de désobéissance citoyenne », (JC Lattès). Il montre un chemin. Celui qu'empruntent depuis Antigone ces millions d'anonymes qui ont pendant des siècles bravé la loi existante, et qui s’appellent aujourd'hui Paul Watson, Hervé Falciani, Edward Snowden, Bradley Manning, Julian Assange. Ils ont l'immense mérite de faire valoir l'idée que les hommes, s'ils le veulent, ont à chaque instant la capacité de s'opposer efficacement à ceux qui détiennent la puissance, le pouvoir et qui parfois les oppriment.

Bourdon en appelle donc à l’extension de la lutte de « cette nouvelle génération de citoyens qui se dressent et portent le cri et la colère d'une humanité qui veut survivre, mieux vivre, et ne plus s'en laisser compter avec toutes les forces obscures qui la menacent ». Rajoutant : « tous les sondages le montre, les citoyens européens et d'ailleurs sont préoccupés par le futur. Nombreux sont ceux qui considèrent que l'intérêt général et les biens publics sont galvaudés ou meurtris par ceux qui devraient en être les principaux protecteurs et promoteurs ».  

Je ne m’attarderai pas sur Julliard et Michéa. Leur échange de courriers et leur entretien, qui font l’objet de leur livre, est d’un tel intérêt qu’il a été déjà bien commenté. L’objet n’en est pas par d’ailleurs le capitalisme mais la gauche et son rapport au peuple. Sauf qu’en France, il est difficile d’imaginer régler la question du capitalisme sans cette gauche et ce peuple qui ne se parlent plus. Ce qui nous oblige à un double effort. Penser contre le capitalisme, et penser contre ce divorce de la gauche et du peuple. Et la gauche ne pourra pas penser contre le capitalisme tant qu’elle n’aura pas réussi à penser contre elle même, ou pour elle même, ce qui est la même chose.

Nous sommes tous co-responsables, à la fois de cet échec de la gauche, et face aux fléaux qui nous menacent.

A nous d’être ces résistants que la conjoncture appelle. De nouvelles structures politiques, citoyennes, associatives, se multiplient, ou de plus anciennes continuent leur combat. Rejoignons les. Elles s’appellent CCFD, ATTAC, Collectif Roosevelt, Anticor, Finance Watch, Nouvelle Donne. Chacun en connaît d’autres.

Podemos. Nous pouvons.


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