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Mathématiques militantes

Publié le 10 décembre 2014 par Sylvainrakotoarison

L’élection des dirigeants des partis politiques au suffrage direct des adhérents donne un bon moyen de connaître le nombre réel des adhérents. Petit tour de France pour les quatre principaux partis.

yartiMathMi01On a beaucoup commenté le score qu’a obtenu Nicolas Sarkozy le 29 novembre 2014 lors de son élection à la présidence de l’UMP, en considérant qu’il était faible avec seulement 64,50%.

C’est vrai qu’il est très loin des 96,72% que vient d’obtenir la Chancelière allemande Angela Merkel le 9 décembre 2014 élue pour la huitième fois consécutive à la présidence de la CDU lors du 27e congrès de ce parti à Cologne (son meilleur score fut 97,94% le 4 décembre 2012 lors du congrès précédent à Hanovre).

Mais contrairement à son homologue français, la CDU n’a pas choisi sa dirigeante au scrutin direct mais seulement par le vote de 1 001 délégués (le mode de désignation des partis français d’il y a une vingtaine d’années), ce qui ne donne pas l’idée de l’importance militante du parti. Selon certaines statistiques, la CDU compterait près de 500 000 adhérents, mais rien n’indique s’ils sont "actifs" ou "dormants". Et contrairement à Nicolas Sarkozy, Angela Merkel n’avait en face d’elle …aucun concurrent !

Voici donc une présentation des "mathématiques militantes" en France. La plupart des partis politiques français, en effet, en tout cas, trois des quatre principaux sur l’échiquier électoral, ont adopté dans leurs statuts un mode de désignation de leur dirigeant très "Ve République", au scrutin universel direct des adhérents : l’UMP, le FN et l’UDI. Pour le PS, si Martine Aubry avait été "élue" au congrès de Reims en novembre 2008, avec les contestations que l’on connaît, ni Harlem Désir en 2012, ni Jean-Christophe Cambadélis en 2014 n’ont fait l’objet d’un vote sérieux des militants.

L’UMP

Comme je l’écrivais au début, on a pu ironiser du score de Nicolas Sarkozy avec seulement 64,5% des adhérents, alors qu’il est un ancien Président de la République. Le score est bas en comparaison avec sa première élection comme président de l’UMP le 28 novembre 2004 (succédant à Alain Juppé) où il avait obtenu 85,1% face à Nicolas Dupont-Aignan (9,1%) et Christine Boutin (5,8%).

De même, si l’on prend son score pour son investiture comme candidat de l’UMP, où il n’avait eu aucun concurrent, il avait obtenu 98,1% le 14 janvier 2007 (mieux que Angela Merkel ce mardi).

J’expliquais également précédemment que si l’on prenait le rapport des adhérents qui ont voté pour Nicolas Sarkozy le 29 novembre 2014 sur l’ensemble des adhérents (le corps électoral), cela donnerait une proportion finalement assez faible, légèrement supérieur au tiers, 37,3%, ce qui pourrait être décevant pour une personnalité ayant exercé la responsabilité suprême.

On pourrait également comparer avec les électeurs réels lors de scrutins nationaux, comme les deux dernières élections présidentielles ou les dernières élections nationales, à savoir les européennes : 3,9 millions de voix le 25 mai 2014, 9,8 millions de voix le 22 avril 2012 (16,9 millions le 6 mai 2012) et 11,4 millions de voix le 22 avril 2007 (19,0 millions le 6 mai 2007).

Cependant, il y a un autre moyen d’apprécier l’importance ou la faiblesse d’un tel score. C’est de bien scruter le nombre de voix réelles. En effet, les partis politiques ont tendance à communiquer leurs statistiques de manière généralement fantaisiste, autant que les syndicats le nombre de leurs manifestants dans une manifestation. Or, entre le nombre d’adhérents revendiqué et la réalité, il y a parfois un immense fossé. Les élections internes sont ainsi un bon moyen pour retrouver cette réalité : seuls me paraissent des adhérents réels ceux qui votent pour les (rares) élections internes dans leur parti.

En effet, il est assez difficile de comprendre qu’une personne encartée, donc engagée politiquement, civiquement sensibilisée, qui conçoit qu’il faut s’exprimer, aller voter, joue à l’abonné absent lorsqu’on lui propose de choisir ses dirigeants. Sauf si ce sont des "adhérents dormants", c’est-à-dire, des personnes qui sont vaguement encartées pour doper les statistiques (conjoint, parents, enfants, collaborateurs d’un adhérent "actif", etc.) mais ne se sentent pas vraiment concernées personnellement.

Donc, plutôt que ne regarder que les pourcentages, analysons aussi les nombres de voix réelles.
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Pour le scrutin du 29 novembre 2014 à l’UMP, le nombre de votants n’était pas négligeable dans le contexte politique actuel : 155 851 votants. Et Nicolas Sarkozy en a convaincu 100 159. Si l’on regarde les résultats du 28 novembre 2004, il y a dix ans, Nicolas Sarkozy avait obtenu …seulement 60 266 voix sur les 70 830 adhérents qui se sont exprimés. En clair, en dix ans, et malgré la candidature très dynamique de Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy a augmenté de près de 40 000 voix son résultat, ce n’est pas négligeable (+66,2%).

Certes, c’est bien moins que lors de sa consécration à la candidature UMP le 14 janvier 2007, avec 229 303 voix, mais l’époque était plus propice à l’engagement politique (les trois candidats Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou avaient en effet levé en 2007 de nouveaux bataillons de citoyens venus s’engager en politique, dynamique qui ne s’est pas reproduite en 2012).

Dans le scrutin du 29 novembre 2014, l’UMP avait 268 236 inscrits, mais seulement 155 851 ont pris la peine de voter (chez eux, sur Internet). Ce dernier nombre est donc plus proche de la réalité politique que le premier.

Ce nombre peut aussi être comparé avec le nombre de votants dans le précédent scrutin interne du 18 novembre 2012 qui opposa François Fillon à Jean-François Copé, et qui est estimé de 172 870 (version officielle des exprimés de la commission nationale des recours du 26 novembre 2012) à 175 982 (version des exprimés de François Fillon du 21 novembre 2012) en passant par 176 608 (version des votants de la commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales, 174 678 pour les exprimés). En clair, malgré les incertitudes qui demeureront toujours sur la réalité de ce scrutin très contesté, on peut quand même affirmer que le scrutin du 29 novembre 2014 a subi une érosion d’une vingtaine de milliers d’adhérents.

Le PS

Pour estimer la force militante du PS, c’est un peu plus difficile en l’absence de scrutin interne au suffrage direct. C’est qui est sûr, c’est que c’est la dégringolade rue de Solferino, à la mesure de la forte impopularité qui touche le pouvoir socialiste.

Le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis l’a d’ailleurs implicitement reconnu lors de son émission "Le grand rendez-vous" sur Europe 1, iTélé et "Le Monde" du 30 novembre 2014 : le Parti socialiste n’aurait plus que 60 000 à 70 000 adhérents à jour de cotisation, soit bien loin des 160 000 initialement revendiqués.

La comparaison avec l’UMP est donc cruelle puisque l’UMP peut au moins s’enorgueillir de 155 851 adhérents actifs (réels).

Le FN

Avec le Front national (financé par la Russie, drôle de patriotisme), on descend tout de suite de catégorie : ce n’est pas un parti de masse et il ne l’a jamais été. Et l’on a des statistiques toutes fraîches puisque Marine Le Pen a été élue pour la seconde fois présidente du Front national le 30 novembre 2014 lors du congrès du FN à Lyon.

Les médias ont dit qu’elle avait reçu 100% des voix, ce qui est faux, même si, comme Angela Merkel, elle n’avait pas de concurrent. Elle a reçu en fait 99,92% des voix car 17 petits bulletins se sont portés …blancs. En nombre de voix, on est loin de Nicolas Sarkozy : 22 312 voix.

Loin aussi des 83 000 adhérents revendiqués, loin des 42 100 adhérents inscrits à ce scrutin interne, il n’y a eu que 22 329 adhérents qui ont concrètement voté, donc, qui sont des adhérents… réels.

Il est vrai que le 30 novembre 2014, il n’y avait pas de réel enjeu politique : Marine Le Pen cartonne dans les sondages, le FN a raflé un quart des voix et le tiers des sièges aux élections européennes du 25 mai 2014, même deux sénateurs aux sénatoriales du 28 septembre 2014, et la candidature de sa présidente le 22 avril 2012 a frôlé les 18%, ce qui était déjà pas mal : on comprend qu’aucune opposition ne pouvait sérieusement s’exprimer avec un bilan si élogieux (et je reviendrai sur la dernière élection législative partielle dans la circonscription de François Baroin).
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Prenons alors le scrutin beaucoup plus difficile du congrès précédent. C’était le congrès de la succession de Jean-Marie Le Pen, président depuis la création en 1972. L’enjeu était, pour le coup, de taille : le dauphin contre l’héritière. Bruno Gollnisch versus Marine Le Pen.

Marine Le Pen l’a alors emporté le 16 janvier 2011 au 14e congrès à Tours avec …67,6% des voix, soit le même score (grosso modo) que Nicolas Sarkozy en 2014. En nombre de voix, cela donnait 11 546 voix pour elle et 5 520 pour Bruno Gollnisch. Par comparaison, Bruno Le Maire a convaincu quatre fois plus de militants en 2014 que Marine Le Pen en 2011.

Dans le scrutin interne au FN du 16 janvier 2011, il y avait 22 403 inscrits et 17 127 votants. Cela veut dire qu’en trois ans, après tous les scrutins importants de 2012 et 2014, le FN n’augmente finalement que de 5 000 adhérents supplémentaires sa frappe militante, c’est assez faible pour un parti et une leader qui ont récolté 4,7 millions de suffrages au dernières élections nationales (le 25 mai 2014), et 6,4 millions de voix à l’élection présidentielle du 22 avril 2012.

L’UDI

L’Union des démocrates et indépendants a aussi très récemment renouvelé ses instances dirigeantes en raison du retrait de Jean-Louis Borloo. On voit que l’UDI a une force de frappe militante similaire à celle du FN. Le 13 novembre 2014, Jean-Christophe Lagarde a été élu président de l’UDI avec 53,5% des voix contre Hervé Morin. Le scrutin était assez serré (comme au premier tour) et personne ne pouvait raisonnablement donner un pronostic sûr.

Il y avait à l’UDI 28 755 inscrits mais les adhérents "actifs" sont ceux qui ont voté (par correspondance papier), à savoir 18 941 adhérents. C’est un peu moins que le FN de 2014, mais si l’on regarde bien, c’est légèrement supérieur au FN de 2011. Jean-Christophe Lagarde a obtenu un nombre de voix d’adhérents sensiblement identique à celui de Marine Le Pen le 16 janvier 2011, à savoir 10 040 voix.

Là aussi, on peut comparer ces nombres avec le nombre de voix reçu aux dernières élections nationales, les 1,9 million de voix obtenus aux européennes du 25 mai 2014 (il est en revanche difficile de faire des comparaisons avec les scrutins présidentiels puisque ceux qui ont rejoint l’UDI ont voté pour des candidats différents tant en 2007 qu’en 2012).

Pour terminer sur une anecdote, l’ancêtre de l’UDI, c’est-à-dire l’UDF, avait, comme l’UMP, également mis à sa tête un ancien Président de la République : le 30 juin 1988, Valéry Giscard d’Estaing était en effet élu président de l’UDF pour succéder à Jean Lecanuet. Mais il n’y a eu aucun vote à proprement parler, le conseil national l’avait en fait choisi par acclamation à l’unanimité des présents.

Transparence et démocratie dans les partis

On est désormais loin du temps des arrangements entre "délégués" et autres apparatchiks. Maintenant, la base de chaque parti vote systématiquement pour les dirigeants. C’est ailleurs un peu la raison d’un discours qui s’est radicalisé sur l’immigration et l’Europe même venant de personnalités modérées comme Bruno Le Maire, car l’électorat d’un parti, la base est généralement plus radicalisée que ses élus, plus entière, moins portée à freiner ses ardeurs naturelles.

Et bientôt, l’UMP, après le PS en octobre 2011, va organiser une primaire, probablement au printemps 2016, pour désigner son candidat à l’élection présidentielle de 2017 (le député de Boulogne-Billancourt Thierry Solère a été chargé de l’organiser).

Le choix des leaders et des candidats se fait maintenant de manière démocratique et la taille des bataillons devient par conséquent plus transparente que jamais. Cela contraint évidemment les responsables des partis à plus d’exigence et d’exemplarité.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
L’UMP.
Le PS.
Le FN.
L’UDI.
Nicolas Sarkozy.
François Hollande.
Marine Le Pen.
Jean-Christophe Lagarde.
Les leaders de demain.
yartiMathMi04
 

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mathematiques-militantes-160576




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