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Jeff Koons, L’art au bord du vide

Publié le 12 décembre 2014 par Jebeurrematartine @jbmtleblog
Mickael Jackson and Bubbles, Jeff Koons, 1988 © Jeff Koons

Mickael Jackson and Bubbles, Jeff Koons, 1988 © Jeff Koons


Si parfois les noms à l’affiche des expositions de Centre Pompidou peuvent laisser une partie du grand public perplexe, celui de Jeff Koons résonne largement. Ses œuvres « néo-pop » à l’aspect ludique et monumental, son statut d’artiste vivant le plus cher au monde et une image savamment contrôlée ont fait de lui une figure mythique qui dépasse largement les frontières du monde restreint de l’art contemporain.

Cette fois, pas de scandale ou de gros coup de communication comme au Château de Versailles en 2008 : le Centre Pompidou présente une rétrospective sobre, classique. Cependant, cette exposition secoue la sphère culturelle française. Malgré ses 35 ans de carrière et surtout son statut de superstar avérée, Koons continue à questionner et à provoquer le débat.

Large Vase of Flowers, Jeff Koons, 1991 © Jeff Koons

Large Vase of Flowers, Jeff Koons, 1991 © Jeff Koons

Pop star

La mise en scène de son personnage en elle-même gêne : Jeff Koons se présente toujours impeccable, en costume, avec un sourire aussi brillant que ses œuvres en acier soufflé et l’affabilité d’un PDG du CAC40 devant ses actionnaires. Pas tout à fait l’idée qu’on se fait de l’artiste contemporain, ou d’un artiste tout court. Bien entendu, être artiste ne veut pas dire se promener pieds nus avec les mains couvertes d’argile et le regard pénétré, mais chez lui cette maîtrise et cette volonté du lisse se retrouve dans ses œuvres aussi bien que dans ce qui les entoure.

Son discours est rôdé et appelle à tous dans la joie et la bonne humeur : « Il y a une forme d’optimisme dans mon œuvre. Je désire communiquer des sensations au public – qu’il sente que j’aime la vie, que j’aime participer au monde », explique-t-il à Philippe Dagen dans un entretien publié dans Le Monde.

Metallic Venus 2010-2012 © Jeff Koons

Metallic Venus 2010-2012 © Jeff Koons


Dans une interview donnée cette fois à Bernard Blistène à l’occasion de l’exposition, il développe à propos du sujet de son travail :


Ce que je veux dire est que tout est là. Toute chose nous entoure. Tout ce qui existe dans l’univers est là. Tout ce qui vous intéresse est là. Si vous vous concentrez sur vos centres d’intérêt, tout se présentera de soi-même, de plus en plus proche. Vous vous rendrez compte que tout est disponible.

En résumé, Jeff Koons veut s’adresser à tous, avec des objets reconnaissables par tous, qui reflètent tout ce que nous connaissons : un art de l’évidence, du total. Et joyeux, comme le suggèrent le titre d’une partie de ses séries : Easyfun, Celebration, Made in Heaven… Pour y parvenir, il reproduit des objets du quotidien, volontiers kitsch (cf. l’incroyable Michael Jackson et son singe parés d’or).

Il reprend des principes du Pop, mais sans la réflexion qui l’accompagne : son but est de communiquer avec le spectateur sur la base de ses œuvres, avec des références partagées par tous et sublimées par ce traitement long et coûteux de l’acier soufflé qui monumentalise ses sujets.

Balloon Dog (Magenta), 1994-2000 © Jeff Koons

Balloon Dog (Magenta), 1994-2000 © Jeff Koons

Bling et dénuement

Cependant, plusieurs éléments posent problème dans cette merveilleuse fable de la recherche d’une communion totale par le pop. D’abord, les œuvres elles-mêmes, et surtout le besoin de les justifier.

La rétrospective montre son travail de manière chronologique, en faisant se suivre les différentes séries : des Inflatables aux Balloon Dogs célébrissimes et si onéreux de la série Celebration, en passant par ses Popeyes, ou la série plus récente Antiquity basée sur l’Histoire de l’Art, on se rend compte de la diversité de la production de l’artiste. Cependant, on retrouve toujours ce principe que l’artiste veut exposer : l’universalité des références pop et le ludique assumé dans les œuvres.

Gazing Ball (Antinous-Dionysus)  © Jeff Koons 2013

Gazing Ball (Antinous-Dionysus) © Jeff Koons 2013


La preuve que cette volonté est centrale, c’est la difficulté qu’ont les cartels de l’exposition à donner les explications et références des objets. Par exemple la série Equilibrium, composée en majeure partie de ballons de baskets flottant dans des aquariums, est censée symboliser à la fois une métaphore de l’ascension sociale américaine et d’un équilibre difficile à atteindre dans nos vies.

On a vite l’impression que ce genre de discours n’est qu’une vaine tentative de trouver une explication un peu trop poussée à une œuvre qui se résume à des moyens frustes (je le répète : un ballon qui flotte dans un aquarium).

Ces références sonnent comme des justifications, comme pour valider des œuvres dont l’artiste lui-même dit qu’elles sont avant tout dénuées de toute « fonction critique » (voir plus loin). L’Histoire de l’Art devient accessoire, une sorte de gadget, comme dans la série The New centrée sur Dan Flavin et des aspirateurs, une caution pour des œuvres dont le but premier avoué est de mettre en valeur l’universalité de la pop culture et son côté « fun » ; une nature compliquée à présenter pour cautionner un artiste si influent et si cher.

One Ball Total Equilibrium, Jeff Koons, 1985, One Ball 50/50 Tank (Spalding Dr. J Silver Series)  © Jeff Koons

One Ball Total Equilibrium, Jeff Koons, 1985, One Ball 50/50 Tank (Spalding Dr. J Silver Series) © Jeff Koons

Humour noir

Un autre problème est ce jeu que Jeff Koons met en place autour de son personnage. Ces codifications, pour lui et pour ses œuvres, sont vraiment tangibles, et laissent un net goût d’artificialité. Son mariage éclair avec l’actrice pornographique italienne la Cicciolina et la sulfureuse série Made in Heaven qui en découla rappelle l’amour de la provocation du jeune Koons.

Cette personne bouillonnante, Philippe Dagen la fait ressortir dans son entretien avec lui pour Le Monde en parlant d’une de ses passions : Gustave Courbet. La faille dans la carapace de maîtrise absolue que l’artiste se forge laisse alors entrevoir le même tempérament que ses débuts, friand de références sexuelles dans ses interprétations et idolâtrant la puissance de ces toiles.

Hoover Celebrity, 3B, Jeff Koons, 1980 © Jeff Koons

Hoover Celebrity, 3B, Jeff Koons, 1980 © Jeff Koons


Cette distance entre le Koons originel et les pièces présentées dans ces dernières séries remettent en perspective leur sincérité bon enfant, et surtout fait ressortir leur problème majeur : leur vacuité. Dans son interview avec Bernard Blistène, Jeff Koons affirme sa volonté dans son travail de « [combattre] la nécessité d’une fonction critique de l’art » ; cette prise de partie contraste fortement avec les grands maîtres pour lesquels ils se passionnent.

Le nœud du problème est là : si, contrairement aux anciens maîtres qu’il respecte, Jeff Koons considère vraiment que le seul moyen pour l’art d’établir un lien entre l’artiste et le spectateur est de reproduire de manière froide, scientifique et monumentale des objets du quotidien qu’il veut dépourvus de sens à part leur aspect ludique, c’est qu’il laisse de côté tous les ressorts sur lesquels l’Art fonctionne habituellement : la beauté, l’émotion, ou même la réflexion intellectuelle sur laquelle se basent des œuvres contemporaines qui peuvent justement en paraître obscures au grand public…

L’optimisme dont se réclame son art serait donc aussi artificiel que le personnage qu’il se crée, et serait en fait un vide assumé et ironique, une négation de ce que l’art est capable de générer.

Lobster, Jeff Koons, 2013 © Jeff Koons

Lobster, Jeff Koons, 2013 © Jeff Koons


Sous-estimer l’intelligence et le travail de Jeff Koons, ou seulement s’arrêter aux problèmes de spéculation dans l’Art que sa cote pointe du doigt, serait une erreur : ce qui peut nous perturber, nous fasciner ou nous révulser, c’est la manière dont ce travail assume sa nature de néant d’art, de cruelle et rentable plaisanterie.

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Jeff Koons, la rétrospective au Centre Pompidou
Jusqu’au 27 avril 2015
11h-21h, Galerie 1
Plein tarif : 13€ ; Tarif réduit : 11€
Plus d’informations ici


Classé dans:Art, Expos, Paris Tagged: art contemporain, centre pompidou, inflatables, jeff koons, Koons, pop

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