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Fathia Radjabou : Je ne sais pas quoi faire de ma vie...

Par Gangoueus @lareus
Fathia Radjabou : Je ne sais pas quoi faire de ma vie...
Il se passe quelque chose de passionnant du côté de l'Océan indien sur le plan littéraire. En particulier, aux Comores. Les recueils de nouvelles que j'ai récemment lus de Touhfat Mouhtare, Adjmaël Halidi ont assis cette certitude et c'est avec le même intérêt que j'ai abordé le travail de Fathia Radjabou. Je ne sais pas quoi faire de ma vie... Disons-le tout de suite, il ne s'agit pas du titre le plus glamour et le plus bankable existant. J'aurais même tendance à dire que c'est un repousse-lecteur.
Pourtant, dès qu'on entre dans la première nouvelle, celle de Zahara, le lecteur est tout de suite embarqué dans cet univers au féminin. Cet espace de dialogues où des femmes tentent de parler à d'autres femmes. Ce lieu où Fathia Radjabou peint des femmes avec beaucoup de soin, d'attention, de poésie.
Elle soupire.
Elle mélange beurre au cacao, huile de coco avec une goutte d'huile essentielle d'ylang-ylang.
Elle allonge sa jambe sur le rebord de la baignoire, elle étale sa mixture en massant, elle insiste : doigt de pied, plante du pied, genou. Elle renouvelle avec l'autre jambe.
Elle poursuit sa friction en remontant : fesses, ventre.
Elle termine par les bras.
Son corps brille comme un cuir qu'on vient de lustrer. Cela l'amuse.
Fin.
P. 21 Je ne sais pas quoi faire de ma vie. Ed. Présence Africaine
Un narrateur extérieur raconte dans la nouvelle La maison les rapports complexes qu'entretient une femme d'origine comorienne avec sa mère quelque part à Marseille. Zahara. C'est à la fois avec délicatesse et brutalité que la narratrice conte la rupture de la jeune fille brillante, élevée par une mère tyrannique qui rêvant d'une reconnaissance sociale sur la terre des origines et lointaine qu'elle a quittée depuis longtemps. Avoirs, biens matériels et surtout le Grand mariage que voit, en l'occurrence que le mère de Zahara voit très grand et pour lequel, sa très sage et douce fille, élève brillante,  n'a rien à dire. La réaction de la jeune franco-comorienne introduit une forme de rupture qui constituera un des éléments récurrents de ce que l'éditeur a bien voulu définir comme des nouvelles. Zahara refuse le diktat de sa mère. Radicalement. Refusant la camisole de force de traditions séculaires mal traduites, rejetant de vivre un destin tracé par une autre personne, Zahara décide de faire face aux intrigues de sa mère et de se défaire de son emprise.
En commençant par cette nouvelle, j'ai naturellement pensé que ce roman allait me plonger dans les méandres de la communauté comorienne très dense au sein de la cité phocéenne. Loin de là. Fathia Radjabou raconte Marseille au travers de plusieurs femmes, du melting-pot culturel que représente cette ville. Une cité arc-en-ciel, lieu de brassage et parfois de chocs culturels dévastateurs. Je parlerais en termes de chapitre. Car, pour moi ce texte est un roman cohérent et ne répond pas aux standards d'un recueil de nouvelles.
Fathia Radjabou : Je ne sais pas quoi faire de ma vie...Des femmes venant de milieux très différents racontent des périodes charnières de leurs existences. Des moments de bascule. Les prémices d'un divorce. Le changement radical d'un époux. Des revendications identitaires ignorées. La survie à une séparation. Un bilan au moment de passer la trentième année.
Fathia Radjabou prend soin de décrire avec beaucoup de précisions l'univers de ces marseillaises. Certaines viennent de l'élite de la grande ville méditerranéenne. D'autres viennent des quartiers nord. C'est une France multiculturelle dont certains ont réellement du mal à s'accoutumer. Au travers de quelques personnages, la romancière souligne ces résistances, un racisme latent qui parfois pourrait être justifié.  Mais ces regards porteurs de jugement, d'incompréhension, d'ignorance ne restent que des éléments secondaires.
L'intérêt de ce roman est dans l'interrogation de ces femmes soumises à des contraintes de toutes sortes : familiales, culturelles, religieuses, professionnelles, sociales, physiques, matérielles, etc.
Fathia Radjabou : Je ne sais pas quoi faire de ma vie...
En y réfléchissant, ce texte est oppressant ou pour être beaucoup plus précis dans mon propos, il est le discours d'une oppression. Celle que subissent de manière constante de nombreuses femmes sortant des cases dans lesquelles la société française, les communautés ethniques tentent de les enfermer. Il est avant tout une mise en scène d'une solitude profonde, un désarroi, une confusion dans lesquels, quelques une luttent. Certaines résistent, font face, décider de vivre leur liberté ou de choisir leur voie, même si dans certains cas, elle conduit parfois à de nouveaux enfermements. L'histoire de Patricia est de ce point de vue particulièrement douloureuse et poignante.
La profonde humanité du propos de Fathia Radjabou est de souligner que toutes ne sont pas égales dans la gestion de cette bascule. Pour d'autres, c'est plus complexe. La coquette Karimène ne sait pas quoi faire de sa vie... Après avoir cédé aux exigences de son conjoint marocain qui ne supporte pas de la voir libre de travailler et la préférerait sous un voile à la maison. Je ne sais pas quoi faire de ma vie... C'est le titre de ce livre.  Un intitulé peu engageant. Mais, comme Blues pour Elise de Léonora Miano ou La femme du Blanc de Muriel Diallo, ce roman de Fathia Radjabou est à découvrir.
Fathia Radjabou
Je ne sais pas quoi faire de ma vie...
Présence Africaine Editions, première parution en 2014 

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