tu me dis qu’il faudrait que je me libère d’hier n’aie plus peur de demain et jouisse aujourd’hui
tu me dis qu’il faudrait que j’ignore les tics les tacs trop bruyants de l’horloge de la gare
tu me dis qu’il faudrait que je dise oui que je dise non mais que je dise quelque chose merde et me décide à monter tic oui tac non dans ce train pressé qui n’attendra pas
mais le monde lui-même tu sais a oublié qu’il fallait qu’il fasse un choix une bonne fois pour toutes encore à jamais sans CTRL-Z à portée de main
et déjà le monde a tiré ce trait indélébile sur l’ordre des choses les il faudrait les choix les saisons les trains trop pressés et le temps qui passe
l’hiver n’a jamais été si doux sans parvenir à se décider à pointer le nez de ses degrés son blanc manteau ses lèvres gercées ses mains craquelées
mais sur le quai de gare le monde se sent impuissant s’en veut et ne sait plus contre qui tourner sa colère qu’il ne peut exprimer de tempêtes en inondations
c’est le monde qui prend l’eau et c’est moi qui m’y noie
tu me dis que je suis une cocotte-minute sous pression moi qui n’ai jamais su cuisiner qu’avec mes pieds et m’efforce de faire coller les pâtes car elles sont meilleures comme ça
tu me dis que les métaphores m’échappent et que je suis beaucoup trop à fleur de peau moi qui suis allergique à ces trucs jaunes oranges rouges qui bourgeonnent au printemps
tu me dis qu’il faudrait que je sorte mon rapporteur et délaisse le premier degré mes œillères et mon nombril pour voir un peu plus loin que le bout de mon nez
mais c’est le monde qui a commencé tu sais c’est pas moi
ce monde avec cet air paternaliste du tout qui me montre les dents de « c’est pas bien » en « il faudrait » et la marque de sa main sur ma joue beaucoup trop rebondie
ce monde fais ce que je dis pas ce que je fais oui mais y’a pas de mais dis merci à la dame excuse-toi baisse ton froc et souris à monsieur le curé
ce monde qui a perdu son sourire avant moi
mais c’est le monde qui a commencé tu sais c’est pas moi
ce monde paternaliste pater noster papaoutai mais tu sais je m’en fous
tu me dis qu’il faudrait que j’encaisse les coups en gardant la tête haute qu’une balle dans la tête si on n’y pense pas ça fait même pas mal en fait
tu me dis qu’un mec un vrai ça chiale pas même avec des seins et un vagin
tu me dis qu’il faudrait que je noie mes cornflakes dans du prozac que je cache ma poitrine sous un ruban adhésif bien trop serré qu’il n’y paraîtrait rien
tu me dis qu’un mec un vrai ça chiale pas même dans le caniveau d’une ruelle isolée non ça serre juste le poing et le plante parfois contre ce macadam qui ne cède pas
mais toi le monde les autres l’enfer et moi on en est tous au même point je crois
à faire cogner nos talons sur les pavés creux de ce monde inanimé
à brandir ce bouclier de certitudes sans y croire vraiment
à se dire que finalement le prozac se digère tellement mieux que le lait
MAIS y’a pas de mais avale-le et tais-toi
ne rien voir ne rien entendre ne rien dire
sois singe, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille
est-on toujours soi sous camisole chimique ? pleure-t-on toujours aussi aigu le sourire qui sonne faux ? pense-t-on encore la larme sèche ?
je pense donc je suis ; le prozac digéré je n’existe déjà plus
tu me dis qu’il faudrait coûte que coûte que je me sorte les doigts du cul que je me file des coups de pied aux fesses que je me couvre de bleus pour tes beaux yeux
tu me dis qu’une fille chouette elle avale sanglote ravale
sa fierté ses rêves et les excréments du monde
qu’une fille c’est chouette ça doit être chouette sourire exhiber ses dents blanches ses couettes de blondinette et sa taille de guêpe
comme Barbie – Barbie qui sourit merde à la plage au ski à la salle de sport en boîte de nuit au lit avec Ken et qui exhibe fièrement son thigh gap
j’ai le thigh gap neurologique et les cuisses qui se touchent beaucoup trop s’enlacent s’entrelacent trépassent derrière de grosses plaques rouges en été
le teint beaucoup trop pâle tu sais j’aurais été une putain de bombe au 16e siècle
tu me dis que – je le veuille ou non – tu feras de mes épaules les plus solides du mondetu me dis que – pour mon bien donc OSEF – tu verseras
du prozac dans mes cornflakes
quitte à me faire suffoquer pour atteindre le dernier cran de la ceinture
quitte à me ligaturer les trompes la pensée
quitte à les noyer – mes cornflakes
tu me dis que tout ira bien maintenant qu’il ne faut pas que je m’inquiète tant que j’aurai
du prozac dans mes cornflakes
mais tu sais peut-être t’as oublié mais il a toujours été
le matin j’ai toujours été infoutue d’avaler quoi que ce soit