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Rencontres avec des entrepreneurs africains : Comment valoriser les déchets sans véritables moyens ?

Publié le 19 décembre 2014 par Diateino

LEÇON 9 : Comment protéger les agriculteurs contre la fragilité des marchés agricoles ?

StarShea Ltd., Ghana

Rencontres avec des entrepreneurs africains : Comment valoriser les déchets sans véritables moyens ?
Rencontre avec Anna Perinic, directrice générale de Starshea Ltd. à Accra, Ghana.

Le marché du karité :

Le Ghana est aujourd’hui l’un des pays les plus riches et dynamiques d’Afrique. Cependant dans le nord du pays, où est implantée l’entreprise Starshea Ltd., l’agriculture emploie toujours la majorité de la population active et les taux de pauvreté varient entre 50 % à 85 %. Dans cette région comme dans tout le pays, le marché du karité a connu une croissance exponentielle ces dernières années faisant du Ghana le potentiel plus gros exportateur de toute l’Afrique.

Le marché du karité a la particularité d’être saisonnier et spéculatif. Les noix sont récoltées d’avril à août et peuvent être vendues du mois de juin jusqu’au mois de mars environ. Cependant en juin, au cœur de la saison des pluies, le sac de noix vaut environ 50 Ghana cedis (soit près de 13 euros) alors que le cours s’envole d’environ 60 % lors de la saison sèche, de septembre à décembre, période durant laquelle se déroulent les achats des grands groupes internationaux.

Généralement les femmes qui récoltent les noix sont malheureusement obligées de vendre une partie de leur récolte à bas prix en juin afin de combler leur manque d’argent disponible.

Organiser la filière tout en ayant un impact social :

Le projet StarShea a été initié en 2010 par PlaNet Finance, une organisation de solidarité internationale, et SAP, une entreprise allemande de conception et vente de logiciels. Ce projet consiste à former des femmes des régions du nord du Ghana à la production de noix et de beurre de karité de qualité. L’objectif de Starshea est de faire en sorte que les femmes productrices ne soient pas les grandes perdantes. L’entreprise agit entant qu’agent commercial des femmes à qui elle rachète la production en juin à un prix supérieur à celui du marché, pour ensuite la revendre à des acteurs internationaux au moment où le prix du karité a augmenté pour qu’elle soit utilisée dans le chocolat ou les cosmétiques.

Rencontres avec des entrepreneurs africains : Comment valoriser les déchets sans véritables moyens ?
Ainsi, ces femmes se trouvent autonomisées grâce à la formation qu’elles reçoivent, au réseau dans lequel elles sont intégrées et au revenu qui leur est garanti. Elles ne sont plus obligées de vendre leur production à bas prix en juin et maximisent donc leurs revenus. Le projet qui a débuté avec 5 000 femmes en emploie aujourd’hui 15 000 et prévoit d’en recruter 5 000 supplémentaires chaque année.

StarShea dispose également d’une innovation qui lui a été apportée gratuitement par SAP. Un système de code barre unique affecté à chaque femme et à chaque sac de noix permet d’assurer de façon fiable la traçabilité des produits

Trouver un modèle compétitif et pérenne :

Le projet de 2010 est devenu en juin 2012 une entreprise ghanéenne. Après trois tentatives différentes, l’entreprise cherche encore à déterminer le business model qui sera le plus pertinent mais semble avoir trouvé celui qui lui convient le mieux. C’est pour elle un défi de taille : la pérennité de l’entreprise dépend de la définition d’un modèle viable.

Dans un premier temps, StarShea s’est associé avec des institutions de microfinance (IMF) pour qu’elles accordent des prêts aux femmes au mois de juin afin qu’elles puissent attendre septembre pour vendre la noix de karité à Starshea au prix du marché en septembre. StarShea, pour sa part, ne facturait aux acteurs internationaux qu’une marge que pour couvrir ses coûts. Mais le modèle a vite montré ses limites, en particulier parce que les IMF ne pouvaient pas suivre la croissance exponentielle du nombre de femmes à préfinancer et parce que les femmes recevaient souvent les prêts trop tard et vendaient donc toujours leur production en juin.

Dans un second temps, l’entreprise a donc décidé d’assurer le préfinancement des femmes elle-même : en juin elle payait les femmes 20 Ghana cedis (5 euros) par sac pour que celles-ci puissent vivre sans vendre leur noix à bas prix. En contrepartie, les femmes devaient conserver chez elles leurs noix, qui seront ensuite vendues au prix du marché en septembre à StarShea, moins l’aide versée en juin. Cependant l’entreprise n’a observé aucun impact de ce préfinancement sur le rendement par femme alors qu’en parallèle il y a eu 12 % de pertes (ces noix prépayées en juin avaient soudain disparu…)

Rencontres avec des entrepreneurs africains : Comment valoriser les déchets sans véritables moyens ?
Depuis cette année, StarShea a donc mis en place un nouveau modèle. Ironiquement, Starshea a conclu que le meilleur moyen de protéger ces femmes des effets néfastes de la spéculation était de spéculer aussi. L’objectif est de faire plus de marge sur les noix : StarShea cherche à acheter les noix le plus tôt possible quand les femmes ont besoin d’argent avec un prix attractif par rapport au marché. Ceci permet de garantir aux femmes des revenus supérieurs de 25 % à ceux qu’elles pourraient obtenir en vendant en juin. Ainsi, en achetant plus tôt et en revendant en septembre aux acteurs internationaux l’entreprise est capable de garantir un revenu suffisant aux femmes tout en cumulant une marge suffisante pour couvrir ses coûts.

Évoluer pour augmenter son impact :

StarShea s’est fixé comme objectif d’améliorer son impact continuellement. Cela passe premièrement par une augmentation constante du périmètre et du nombre de femmes touchées. Le but est de recruter chaque année 5 000 femmes supplémentaires pour leur faire bénéficier des avantages qu’offre StarShea. Cette croissance perpétuelle demande à StarShea de rester flexible afin de s’adapter quand il le faut au changement d’échelle comme ce fut le cas lorsque les IMF ne purent plus financer les femmes et que l’entreprise dut trouver un nouveau modèle de préfinancement.

Ce changement d’échelle implique également une problématique de financement car Starshea doit pouvoir disposer du fonds de roulement nécessaire au rachat des noix à un prix élevé tôt dans l’année avant de vendre les noix à un prix élevé en septembre. Starshea a en fait mutualisé le problème de fonds de roulement qui se posait aux agricultrices individuelles et y répond pour l’instant grâce au soutien financier de SAP.

Le témoignage d’Anna Perinic nous fait prendre conscience du défi posé aux entreprises animées d’une volonté de changement social. L’équilibre est toujours difficile à trouver entre garantir une juste rémunération aux producteurs isolés et couvrir ses propres coûts. Starshea a changé trois fois de business model en trois ans afin de trouver une solution qui permet aux productrices de karité de ne pas être les grandes perdantes de la volatilité du marché. Tester, échouer, recommencer avec une autre idée jusqu’à trouver le modèle adéquat ! Une belle leçon d’optimisme et de courage.

Voir aussi chez Diateino :

L’Innovation Jugaad de Navi Radjou, Simone Ahuja, Jaideep Prabhu.

Ces entreprises qui réussissent en Afrique de Jonathan Berman.


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