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Michel Serres : Petite poucette

Par Gangoueus @lareus
Michel Serres : Petite poucetteCopyright Emmanuel Viverge
Il existe des philosophes. Des hommes pour qui l’amour de la sagesse fait encore sens et qui sont capables d’observer la révolution douce qui s’opère lentement mais sûrement dans les sociétés occidentales. Une e-transformation radicale de la société qui touche de nombreuses sphères de notre quotidien. Michel Serres fait partie de ces hommes. Homme de culture, scientifique, observateur de l’Homme nous offre une réflexion brillante en se voulant le plus pédagogique possible. Pour cela, il reprend les fables d’antan pour illustrer ses observations. Petite poucette, Petit Poucet font partie de cette approche.
Contexte actuel : Petite poucette dans le monde actuelEn première lecture, j’avais pensé Petite « poussette ». Il faut dire que j’ai participé à une étude de cas, il y a quelque temps sur la stratégie digitale d’un opérateur économique dans le domaine de la puériculture. Depuis, je vois des poussettes partout. Plus sérieusement, vu que Petite Poucette est le personnage central au coeur des bouleversements profonds que Michel Serres annonce, le lecteur aura plutôt intérêt à relire les classiques du conteur danois Andersen. Dans le premier volet de cet essai, le philosophe déploie tout son savoir pour définir cette petite poucette. Ce digital native en d’autres termes. Ce môme né avec un ordinateur portable dans les mains qui connait les versions les plus sophistiquées de Mario Kart, qui scrolle plus vite que son ombre et suit les vidéos de Norman sur le Net. Michel Serres observe avec le regard tendre du grand père, cette nouvelle génération qui utilise ses pouces d’une manière tellement différente de celle des anciens et qui, naturellement, a accès au savoir totalement nouveau.
Petite poucette et la poursuite de la digitalisation de l’ « école »Selon Michel Serres, ces digitales natives qui baignent dans un environnement nouveau, aborderont des métiers avec des moyens de production, des nouvelles méthodologies de travail  et un accès au savoir totalement ouvert sur le web. La e-transformation de l’école est donc un impératif, une évidence qui saute aux yeux du lecteur sans que le philosophe n’ait besoin d’en rajouter des couches. L’individu a changé. Le savoir ne peut plus lui être transmis par les formes qui ont fait leur preuve depuis quelques siècles mais qui désormais sont totalement obsolètes.
Comme je le disais plus haut, les arguments de Michel Serres sonnent comme des évidences. Quand il évoque le vacarme dans un amphi où initialement, un enseignant détenant la science infuse dispensait son savoir du haut d’une chaire avec l’attention d’un public religieusement acquis à sa cause et à son propos, le mode de transmission est fondamentalement amené à changer face à un public connecté dont la tête décapitée repose sur le pupitre. Le savoir est là, accessible, avec des données collectées sans la cotation Dewey mais désormais à coups de requêtes Google plus précises et plus affutées que la lame d’un samouraï. 
Michel Serres : Petite poucette
« La focalisation de tous vers l’estrade où le porte-voix requiert silence et immobilité reproduit dans la pédagogie celle du prétoire vers le juge, du théâtre vers la scène, de la cours royale vers le trône, de l’église vers l’autel, de l’habitation vers le foyer… de la multiplicité vers l’un ». 
p.39, édition Le Pommier
L’air de rien, faussement naïf, le philosophe annonce la possible fin de l’ère des acteurs. On pourrait ajouter la fin de la représentation et, d’une certaine manière, de l’unilatéralisme de la transmission des savoirs, je rajouterai des mémoires pour une approche plus collaborative pour ne pas dire participative.
Petite poucette et la société
Michel Serres : Petite poucetteLa troisième phase du travail de Michel Serres place Petite poucette ou les scrollers professionnels au coeur de la société. Avec la tendresse du patriarche tout en se refusant le rôle de donneur de leçons, il poursuit la déconstruction de certains schèmes que la nouvelle génération ne sauraient reprendre. Il y a une idée très forte du rejet de toute forme de hiérarchisation des rapports, une abolition des forteresses encore existantes. Michel Serres développe une vision extrêmement optimiste. Il ne lit pas le brouhaha, voir la cacophonie existante dans les classes d’écoles, dans les amphithéâtres, sur les murs des réseaux sociaux avec la même condescendance que ceux qui y voient superficialité et déclin. Il y voit une ou des opportunités là où certains prédisent une impasse. Surévalue-t-il les ressources de Petite poucette? L’avenir nous le dira, mais il est certain que la transmission des savoirs, des valeurs culturelles, la gestion de la cité doivent être repensées de fond en comble. La charge du philosophe est telle qu’elle suscite des réactions tout aussi passionnantes comme celle de Julien Gautier sur le site skhole.com
Michel Serres
Petite poucette, publié en mars 2012 - Editions Le Pommier

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