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Au cinéma : «Timbuktu»

Publié le 23 décembre 2014 par Masemainecinema @WilliamCinephil

Il y a des films comme ça qui vous retournent les tripes. Timbuktu est de ceux-là. Que ce type de film nous soit familier ou non, il ne peut laisser indifférent.

Le film se situe quelque part entre 2012 et 2013. Les islamistes salafistes d’Ansar Dine et d’Aqmi ont remplacé les touaregs rebelles du MNLA et contrôlent le nord du Mali. Quelques mois plus tard, ils seront délogés par l’armée française au cours de l’opération Serval.

Mais cela, les habitants fictifs de Tombouctou -qui n’est jamais nommée- ne le savent pas. Et ils supportent les lois iniques auxquelles les islamistes les soumettent. Plus de cigarette, plus de musique, plus de football, les gants et le voile obligatoire pour les femmes. Ceux qui y contreviennent seront jugés coupables et lapidés.

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Les tyrans ne sont pourtant pas plus intelligents, pas meilleurs dirigeants que d’autres. Ils sont même plutôt pathétiques, entre celui qui se cache pour fumer et l’autre qui essaye vainement d’enregistrer des vidéos de propagande. Et leur pratique de l’islam est loin d’être orthodoxe : il faudra l’intervention de l’imam pour les empêcher de rentrer chaussés et en armes dans la mosquée. Ces bourreaux ne sont jamais diabolisés, ce serait leur donner trop grande importance. Ils sont ramenés à ce qu’ils sont vraiment : des êtres humains, qui ont juste eu les moyens de mettre la main sur des armes.

Car c’est bien la brutalité qui leur permet d’imposer cet obscurantisme absurde dans la ville. Certains « résistent », comme cette femme qui s’énerve quand on lui demande de mettre des gants pour laver le poisson, ou Zabou, la femme vaudou qui balance des « Connards !’ aux djihadistes, protégée par sa « folie ». Jusqu’au moment où la violence reprend le dessus : Fatou a profité du couvert de la nuit pour chanter avec ses amis, elle sera fouettée. Sous les coups, son cri s’élève, comme un chant de liberté dont on voudrait qu’il renverse les fanatiques.

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Non loin de la ville occupée, la grâce existe encore. Dans le désert à côté vivent des éleveurs touaregs. Kidane, Salima et leur fille Toya, digne et belle famille, vivent à l’écart, la tête haute, comme si rien ne changeait. Après tout, dans la lumière du désert, l’obscurité ne peut pas les atteindre. Ils ont peur, pourtant, les adultes. Ils savent que le danger et la bassesse de sont pas loin : ils les combattent par l’esprit quand les djihadistes viennent demander à Salima de couvrir ses cheveux. Et puis, l’incident fatal, quand la vache préférée de Kidane, GPS, est tuée.

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Timbuktu est porté par un éclat sublime. Que ce soit dans la lumière du désert parfaitement mise en valeur par la photographie, ou dans la poésie de scènes merveilleuses. La caméra scrute les dunes, les tentes des touaregs, la couleur ocre des maisons, les visages magnifiques, marqués par le sable et le vent. Elle filme les moments d’espoir, de résistance. Impossible d’oublier cette séquence insolente, où des adolescents bravent les interdits pour jouer le plus fabuleux des matchs de football… sans ballon. L’imaginaire est plus fort que le fanatisme. Le match est silencieux, pourtant on croirait entendre la foule d’un stade en délire.

Le silence est souvent présent dans le film d’Abderrahmane Sissako. Il contraste avec les lois criées dans le mégaphone par les djihadistes ou avec les cris de la chanteuse. Il souligne la beauté d’une scène. Et il rend le moment fatal encore plus fascinant, dans un long travelling panoramique qui permet au spectateur de prendre la mesure de la tragédie. Celui-ci n’a plus qu’à attendre, inexorablement, que la sentence tombe.

Timbuktu est un récit tragique mais porté par une grâce et une poésie intemporelle. Abderrahmane Sissako filme merveilleusement la lumière et la volonté de liberté, qui existent même dans les heures les plus sombres.

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Timbuktu. De Abderrahmane Sissako. Avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri, Fatoumata Diawara, Layla Walet Mohamed …

Sortie le 10 décembre 2014.


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