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Premier Amour [Ivan Tourgueniev]

Publié le 24 décembre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,
Je vais une nouvelle fois vous parler de littérature russe (que je crois que je commence à beaucoup aimer d'ailleurs), mais l'histoire dont je vais vous parler est beaucoup plus courte que celle d'Anna Karénine. Vous êtes prêts à replonger dans le souvenir de votre premier amour ? C'est parti !

Premier Amour [Ivan Tourgueniev]« Quelle fille excitante que Zinaïda! » écrit Flaubert à Tourgueniev à propos de son roman. « C'est une de vos qualités de savoir inventer les femmes. Elles sont idéales et réelles. Elles ont l'attraction et l'auréole. » Irrésistible du haut de ses vingt et un printemps, la capricieuse et attirante Zinaïda fait chavirer le coeur du jeune Vladimir Pétrovitch, seize ans à peine. Premier amour et premiers tourments d'un enfant épris de la jolie princesse pour l'avoir vue par-dessus la palissade de son domaine... Mais lorsque Zinaïda devient froide et mystérieuse, d'étranges soupçons envahissent l'esprit de Vladimir. Quel est donc ce rival secret qui l'éloigne de lui?

La soirée se termine et quatre amis restent seuls à discuter. Alors qu'ils décident de se raconter leur premier amour, chacun passe son tour, obligé d’admettre que celui-ci n’a rien de passionnant et ne vaut pas le  coup d’être raconté. C'était sans compter sur Vladimir Pétrovitch qui prend finalement la parole pour raconter son premier amour qui « n'a pas été un amour banal ». Seulement Vladimir se reconnaît piètre conteur et demande à consigner ses souvenirs dans un cahier pour les lire ensuite. Rendez-vous est pris, ils se retrouveront dans quinze jours pour que Vladimir leur raconte ses souvenirs.

La véritable histoire commence alors. Nous voilà projetés plusieurs dizaines d'années en arrière dans les souvenirs de Vladimir, alors que celui-ci n’a que 16 ans. Ce dernier prend alors le rôle de narrateur, de telle sorte que l'histoire nous est racontée grâce au pronom personnel « je ».Le premier amour de Vladimir est on ne peut plus classique. Il découvre ses premiers émois, vit un coup de foudre et tombe immédiatement fou amoureux de la Princesse Zinaïda, au caractère bien trempé. Celle-ci sait le charme qu'elle a sur les hommes et se plait à se jouer de ses prétendants (nombreux). Mais l'arroseur est bientôt arrosé : contre toute attente, la Princesse Zinaïda tombe elle aussi amoureuse... L'identité de cet heureux élu n'est pourtant pas dévoilée de telle sorte que non seulement Vladimir souffre de savoir que sa belle en aime un autre, mais en plus il ne sait même pas qui est ce rival inconnu ! Quoi de pire pour un premier amour ?Premier Amour [Ivan Tourgueniev]
Le style d'Ivan Tourgueniev est très poétique, plein de couleurs et très imagé. Pendant la lecture, j'ai parfois eu l'impression de voir des tableaux ou des scènes se dessiner devant les yeux, comme si le texte pouvait vraiment prendre forme en imagination. J'ai trouvé cela très agréable et assez poétique. L'histoire se dévore ainsi très rapidement et on prend beaucoup de plaisir à se laisser emporter dans un univers très imagé.Les images poétiques qu'utilise Tourgueniev sont d'ailleurs assez classiques. Prenons par exemple la scène du coup de foudre lors de laquelle Vladimir voit la Princesse Zinaïda pour la première fois, les éléments sont plutôt vus et revus : il la « dévore des yeux » (p.21), avant de déclarer que « Mon coeur battait comme un fou ; je me sentais confus et joyeux, en proie à un trouble comme je n'en avais jamais encore éprouvé. » (p.22). Vladimir devient alors exalté, passionné et passe tour à tour de la passion la plus folle au plus grand désespoir.En tant que lecteur, on se plait à remarquer tous ces petits mécanismes et ces effets lyriques. L'auteur utilise à fond les codes des héros romantiques et des scènes amoureuses classiques pour décrire les sentiments du héros, de telle sorte que ça en devient presque comique et ironique.

« J’avais une prédilection particulière pour les ruines de l’orangerie, ayant pris l’habitude d’escalader son mur abrupt et d’y rester assis, à califourchon, tellement malheureux, triste et oublié que je prenais pitié de moi-même : douce griserie de l’isolement mélancolique ! » p.56
Les ruines inaccessibles, la mélancolie, la solitude,… et tout cela qui se termine par une belle envolée lyrique (on dirait presque un vers de 14 syllabes) poncutée d'un point d'exclamation ! C'en est trop.La palette de personnages est quant à elle assez restreinte. En fait, on se concentre vraiment sur deux personnages : Vladimir et la princesse Zinaïda. Beaucoup de personnages secondaires sont pourtant présents, notamment les parents de Vladimir et les prétendants de la princesse (Le Comte Malevsky, Le Docteur Louchine, le poète Maïdanov, Nirmatzky, Belovzorov). Leur personnalité ne sont pourtant pas tellement développées, mettant en exergue le fait que personne n’a d’importance aux yeux du héros hormis la princesse Zinaïda.

Premier Amour [Ivan Tourgueniev]
La façon dont nous est racontée cette histoire m'a beaucoup fait penser aux nouvelles que Stefan Zweig écrira plus tard (attention aux anachronismes : Tourgueniev est mort deux ans après la naissance de Zweig) : le récit est très court et assez dense, sans longueur. Le romancier nous décrit l’histoire d'un premier amour passionnel et obsédant, qui va nécessairement de paire avec la souffrance « Ma passion date de ce jour-là, ai-je dit ; je pourrais ajouter qu’il en est de même pour ma souffrance. » (p.43). Il s’agit en outre d’une mise en abyme et d’un récit dans le récit (comme dans Le Joueur d'échecs de Zweig par exemple, dans lequel le narrateur raconte l'histoire qu'un passager d'un bateau lui a lui-même raconté).En fin de compte, je n'ai pas trouvé beaucoup d'originalité dans cette histoire. Les éléments sont déjà vus et le thème du premier amour n'est pas non plus inédit. Mais alors, pourquoi lire ce livre ? Déjà, pour le plaisir du dénouement et de la résolution du mystère : qui est donc ce mystérieux rival ? (même si, entre nous, la clé de celui-ci est assez prévisible si l'on est attentif aux indices semés par l'auteur). Ensuite, pour se plonger dans le souvenir d'un premier amour et y redécouvrir des éléments universels et intemporels. Enfin, pour avoir quand même le plaisir de découvrir le style de Tourgueniev, son écriture à première vue lyrique mais en réalité très ironique. Je vous suggère de ne pas prendre les mots au pied de la lettre et de vous rappeler à chaque instant que c'est d'un premier amour dont on parle, et que les premiers amours (surtout à seize ans), sont rarement ternes et raisonnables ! ;-) En fait, j'ai surtout pris du plaisir à découvrir une histoire qui s'inscrit dans la tradition du roman d'amour et qui se joue de ses codes.Au final, on trouve donc beaucoup de lyrisme, d'exagérations, de sentiments peu contrôlés et enflammés dans cette histoire. C'est pourquoi on peut aussi se poser la question suivante : les souvenirs du héros sont-ils vraiment fidèles à la réalité, ou ne sont-ils pas déformés, sublimés par la nostalgie ? Vous savez, comme lorsque l'on se rappelle qu'on avait la belle vie à telle ou telle époque, et qu'on n'en n'a pas profité comme on aurait du.Et c'est peut-être là un des pouvoirs de la littérature : pouvoir sublimer un souvenir rien qu'avec l'écriture.Et voilà mon petit moment de curiosité : vous arrive-t-il à vous aussi d'exagérer vos souvenirs par rapport à la réalité ? Pensez-vous avoir un souvenir fidèle de votre premier amour ou au contraire l'avez-vous enjolivé avec les années ?*Ce livre fait partie du Baby challenge classique

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