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Abdourahman A. Waberi : La divine chanson

Par Gangoueus @lareus
Abdourahman A. Waberi : La divine chansonJe ne connaissais pas Gil Scott-Heron avant de recevoir le nouveau roman d’Abdourahman A. Waberi. Non, je vais être plus précis.  Je ne connaissais pas cet artiste américain avant l’enregistrement de l’émission que nous avons consacrée au slameur Capitaine Alexandre en octobre 2014. Ramcy Kabuya qui propose pour ce moment littéraire une de ses vibrations passionnantes avait évoqué Gil Scott-Heron. Dans un coin de ma tête, je l’avais classé dans le rayon « icône du Slam et du Hip-Hop ». Et ce n’est pas peu dire. En effet, quand on lance une petite requête sur le nom de cet artiste dans le site de partages de photo Flickr, ô combien sont grands les hommages que le street-art rend à Gil Scott-Heron.Mais qui est-il ? Comment explique-t-on son quasi-anonymat, alors que son influence semble très importante sur un pan entier de la culture américaine ? J’imagine que c’est à cette question qu’Abdourahman A Waberi a voulu répondre en proposant un roman autour de l’artiste américain. 6 ans après son précédent roman, Le passage des larmes, le romancier djiboutien a choisi un thème complètement différent de ses précédentes productions. Le personnage narrateur est un chat aux sept vies. La septième est-elle la meilleure ? Elle lui permet en tout cas d’atterrir à Brooklyn,  si l’expression atterrir est bonne quand on parle de réincarnation, après avoir entre autres été le chat d’un leader soufi. Notre chat bavard n’a pas la réserve d’un bonze mais il est toutefois imprégné des  multiples spiritualités, qui se chevauchent comme les loas du vaudou prennent possession de leurs adeptes.Le chat raconte son maître. Avec la distance que pourrait avoir un félin, par essence indépendant. Se profile le parcours de Gil Scott-Heron ou plutôt de Sammy Kamau-Williams. Celui du fils d’un athlète de haut niveau venu de la Jamaïque et d’une femme besogneuse venue du Tennessee. Le portrait qui se dessine suivant les dires est un scénario assez récurrent chez les afrodescendants : le père disparait assez rapidement de la circulation, Sammy est élevé par sa grand-mère Lilly dans le Tennessee, puis chez sa mère du côté de Harlem. La cellule matrifocale est une constante dans laquelle beaucoup d’hommes de la génération de Gil Scott-Heron et qui, malheureusement se perpétue. Si le père est absent, le chat narrateur nous conte quand même son parcours. On ne parlera pas ici d’errance. Sportif, footballeur, il a fait l’Europe, les Etats-Unis avant de poursuivre sa carrière à Bahia. Il est intéressant de voir dans la construction, l’issue du parcours du père qui se termine dans un accomplissement spirituel.Abdourahman A. Waberi : La divine chansonInscrit dans un très bon collège de l’Upper Side de New York, Sammy Kamau-Williams fait ses classes tout en développant les talents d’artiste dont sa grand-mère l’a inoculé en l’initiant très tôt au piano. La narration n’est pas linéaire. Tantôt le chat parle de ses propres pérégrinations. Tantôt se focalise-t-il sur son maître. Avec poésie, déférence, attachement et un poil de nombrilisme, il enveloppe cette narration d’une spiritualité aux multiples sources et de la douleur liée à la condition des africains-américains et pour laquelle Sammy Kamau-Williams va produire, en puisant dans les racines du blues, un appel à la révolte. Certains de ces morceaux mythiques, que je découvre, ont accompagné les très mouvementées années 70. Comme, c’est souvent le cas, la tragédie des grands artistes se trouve dans les addictions censées leur permettre de faire face à la profonde sensibilité qui font de leurs voix, de leurs chants, un élément unique, une force exceptionnelle.Abdourahman Waberi offre donc une réflexion sur un artiste total ayant refusé toute forme de compris pour se dégager une certaine de discours.
Abdourahman A. Waberi : La divine chansonJe termine cet article en écoutant l'intégrale de l'album de Winter in America sortie en 1974 en me disant comment ai-je pu louper un tel artiste.
Le chat narrateur m'aura donc fait passer un bon moment en contant les pas de son maître. C'est d'ailleurs un artifice littéraire amusant que cette sympathique relation maître - animal qui naturellement fait écho à d'autres relations de cet ordre dans l'esprit de certains. On se prend de sympathie pour ce chat conteur, dont la propre histoire est dramatique. C'est toute la malice de Waberi de dire sous cape d'autres observations qu'il fait sur la société américaine. Ce roman est en effet son premier ouvrage qui s'ancre réellement aux Etats-Unis. Un petit regret  touchera au fait de la distance vis-à-vis de l'artiste. Le roman pourrait être perçu comme une introduction au personnage de Gil Scott-Heron et une exploration de la manière avec laquelle la société américaine a forgé des figures contestataires comme la sienne. 
Gil Scott-Heron
La divine chansonEditions Zulma, A paraître 2015
Crédits photo Gil Scott Heron - Mikael Altermark / Abdourahman A. Waberi - SprachsalzGil Scott-Heron en musique

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