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[NOTRE AVIS] 12 years a slave, l’avènement d’un grand cinéaste : Steve McQueen (II)

Publié le 05 janvier 2015 par Tempscritiques @tournezcoupez

Pour ceux qui ne le savent pas encore, Steve McQueen n’est pas uniquement la star mondiale et icône de la contre-culture américaine des années 1970. Son homologue britannique est un jeune cinéaste, acteur majeur de la scène de l’art contemporain, et déjà auteur de deux long-métrages remarquables avant la sortie de 12 years a slave, son dernier film.

12 years a slave

Hunger et Shame, les deux premiers métrages de Steve McQueen (II) témoignaient d’emblée d’un grand talent pour la mise en scène et d’une capacité de renouvellement impressionnante. Les revues de cinéma spécialisées, comme Positif, n’hésitent pas à parler de lui comme « l’un des metteurs en scène les plus important apparus sur la scène internationale depuis une décennie ». De l’univers carcéral, contestataire et morbide de Hunger, il était passé à un portait d’homme souffrant d’une addiction au sexe, dans Shame. Cette fois, toujours avec  son acteur fétiche, Michael Fassbender, McQueen s’attaque à travers 12 years a slaves au portait de Solomon Northup, homme noir du nord des Etats-Unis, capturé à la fin du 19ème siècle pour être réduit à la condition d’esclave.  Il est parfois déroutant de suivre le parcours d’un cinéaste lorsque celui-ci renouvelle son esthétique à chaque film, ceci pouvant être le symptôme d’un manque d’unité dans l’œuvre d’un réalisateur qui se cherche, ou bien une capacité remarquable à transfigurer son cinéma à chaque nouveau sujet abordé. Steve McQueen fait incontestablement partie de cette seconde catégorie, et sait rendre une parfaite harmonie entre la narration de son film, sa trame scénaristique, et son esthétique.

Michael Fassbender and Chiwetel Ejiofor in 12 years a slave

L’esclavage est un miroir dans lequel le cinéma américain n’aime pas vraiment se regarder. En près de 100 ans d’histoire, le cinématographe s’est bien peu souvent arrêté sur le sort réservé aux esclaves d’Amérique et d’ailleurs. Si certains films s’y sont néanmoins attelés (Amistad, Mandingo, Tamango…), il est notoire d’indiquer que deux récentes productions, fort différentes au demeurant, contribuent à leur manière à combler ce vide: justement 12 years a slave et le déluré Django Unchained de Tarantino sorti en 2013. Lorsque la femme de Stve McQueen, historienne, lui fait découvrir le livre « Twelve years a slave », récit autobiographique de Solomon Northup, il décide aussitôt d’en proposer une adaptation au cinéma. Il s’associe alors à John Ridley, scénariste afro-américain connu en particulier dans le monde de la série (Rescue unité spéciale) pour en établir le scénario. Le réalisateur, dans un souci profond de rendre cette histoire avec une grande authenticité et d’approfondir ce sujet souvent traitée superficiellement, s’est entouré de la la costumière Patricia Norris. Collaboratrice de David Lynch âgée de 86 ans, elle a réalisé un travail remarquable  contribuant à la contextualisation historique du film. Le chef décorateur, Adam Stockhausen a quant à lui élaboré des habitations, des ranchs, à l’image de leurs propriétaires esclavagistes. Ce souci du détail, cette minutie, orchestré par ce travailleur acharné qu’est Steve McQueen contribue fortement à restituer l’époque avec une véracité au service de l’histoire. L’un des aspects frappants du film est que sans sombrer dans le didactisme il épouse un large spectre de ce que fut l’esclavage, pour en mettre à jour les rouages. De la domination sexuelle à la marchandisation de l’humain, des rapports pervertis entre esclaves aux stratégies des uns et des autres pour échapper à l’atrocité de leur condition, le film ne nous épargne rien et échappe ainsi à toute forme de dénonciation manichéenne.

12 years a slave

Si une forme de classicisme dans la mise en scène a été reproché au cinéaste, il faut pourtant y voir un vrai parti pris éthique au service d’un choix esthétique affirmé. Pour filmer l’esclavage de l’intérieur, en montrer les mécanismes et dénoncer l’absurde inhumanité, le cinéaste a choisi de garder une forme de sobriété dans les choix de mise en scène. Il compte ainsi sur la puissance de son dispositif, l’universalité de l’histoire et sur  la qualité des acteurs pour que chaque séquence possèdent une puissance intrinsèque. L’insoutenable scène de pendaison lente et interminable, en dépit de son épure visuelle, est portée par la justesse du jeu de Chiwetel Ejiofor, et filmée dans un décor très réaliste, ceci accentuant fortement l’empathie du spectateur. De même, la terrible séquence de fouet restera comme l’un des moments de cinéma les plus marquants de l’année 2014, tant les visages torturés des deux esclaves, joués par Chiwetel Ejiofor et Lupita Nyong’o se répondent dans un tragique jeu de miroir alors que les deux bourreaux, Michael Fassbender et Sarah Paulson sont tous deux touchés par une forme de folie.  Loin de toute esbroufe, le metteur en scène a su mettre sur pied l’un des films majeurs concernant la thématique de l’esclavage par une maitrise totale du langage cinématographique. En définitive, le film a un pied dans la super-production hollywoodienne, le cinéma populaire et grand public, et un autre dans un cinéma d’auteur qui s’autorise à faire durer certaines scènes et ne se soumet jamais au diktat de la facilité et du consensus.

Affiche de 12 years a slave


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