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un héros de la guerre

Publié le 06 janvier 2015 par Dubruel

d'après LE PÈRE MILON de Maupassant

Le vieux père Milon

Habitait une grande maison

Où il logeait, à l’étage,

Des officiers allemands

De tous grades, de tous âges.

Or, certaines nuits, les Uhlans

Constataient avec stupeur

Que tel rondier ou tel éclaireur

Pourtant exercé

Ne rentrait pas à leur P.C.

Et puis,

Un matin, le planton

De garde vit Milon

Rentrer

Chez lui

Le visage balafré.

Le colonel allemand

Jugea l’indice suffisant

Pour l’interroger.

Il s’assit en face de lui

Et lui dit en français :

-« Depuis que nous sommes ici,

Nous n’avons eu qu’à nous louer de vous.

Vous étiez attentionné pour nous.

Mais il faut que nous éclaircissions

Une terrible accusation

Qui pèse aujourd’hui sur vous.

Comment avez-vous

Reçu cette blessure

Que vous portez à la figure ? »

Milon ne répondit pas.

-« Cette nuit, qui a tué notre cavalier ? »

Le père Milon articula

Sans hésiter : -« C’est mé »

Le colonel demeura

Si étonné qu’il ajouta :

-« Connaissez-vous les auteurs

Des meurtres de nos éclaireurs ? »

Le vieux s’est exclamé :

-« C’est mé. »

-« Vous seul ? »

-« Mé seul. »

-« Comment vous avez fait ? »

-« Comment vous dire ça ?

Je sais-ti…Comme ça s’ trouvait. »

-« Vous allez tout m’avouer. »

-« Vous m’avez mis en d’ sales draps,

Vous et vos soldats,

Ha ! Ça, oui, da !

Vous m’avez pris du fourrage pour p’us

De chinquante écus

Et pi une vaque, deux moutons

Et une couvée de canetons.

J’ me suis dit : tant qu’i’ m’ prendront,

J’ leur y r’vaudrons.

V’la qu’un soir,

J’ vas m’apercevoir

Qu’un de vos types

Fumait sa pipe

Perché su l’ fossé.

J’allais décrocher ma faux.

Je r’vins sitôt

Et par derrière, j’ li coupai l’ cou

D’un coup.

J’ai pris tous ses effets,

Blouson, bottes, bonnet … »

(Du fait de sa fréquentation

Avec les soldats teutons,

Le vieux paysan

Avait su retenir

Quelques mots d’allemand.)

Un soir, ayant vu partir

Un rondier prussien

(Ah ! Il les haïssait bien

D’une haine hystérique

De paysan patriotique.)

Il entendit sa destination.

Et l’objet de sa mission.

À la tombée de la nuit, il revêtit

L’uniforme du soldat allemand

Qu’il avait tué et sortit.

Il se mit à rôder par les champs.

Soudain, il entendit galoper sur le chemin.

C’était le cavalier prussien.

Le père Milon s’approcha.

Dès que l’allemand fut à vingt pas,

Le vieux s’étendit sur le sol, tout raide,

Sans bouger et cria : « Hilfe ! à l’aide ! »

Sans rien soupçonner,

Le cavalier se pencha sur l’inconnu,

…Et reçut

Un terrible coup de sabre sous le nez

Milon enfourcha son cheval et s’enfuit

À toute vitesse dans la nuit.

Une heure après,

Milon aperçut deux autres cavaliers

Qui rentraient

À leur quartier.

Il fonça au galop droit sur eux,

Passa entre les deux

Comme un boulet

Et les tua à coups de pistolet.

Ensuite, durant quatre jours,

Il ne quitta plus sa maison,

Attendant prudemment la conclusion

De l’enquête. Le cinquième jour,

Milon

Repartit

Et tua de la même façon

Deux autres ennemis.

Dès lors, il ne s’arrêta plus.

Chaque nuit, il abattait des uhlans.

Il les couchait tout nu

Le long des champs,

Cachait leurs uniformes soigneusement,

Et reprenait ses habits de paysan.

Le colonel lissa son bouc blond :

-« Vous n’avez plus rien à dire, Milon ? »

-« Non, p’us rin. Seize, j’en ai zigouillé ! »

-« Vous allez être fusillé. »

-« Oui, j’sais. Mais sachez qu’ dans l’temps,

Nous aussi, on a fait campagne

Jusqu’en Champagne

J’ vous ai d’mandé grâce à aucun moment.

Pourtant, vous avez tué mon père

Soldat de l’Empereur premier.

Sans compter qu’ le mois dernier

Vous avez tué mon fils Pierre

J’ sommes quitte. Pour mon père, huit.

Pour mon fieu, huit.

J’ai pas été vous chercher querelle.

J’ vous connais point, vous l’ colonel.

J’ sais pas d’où qu’ vous v’nez.

Mais vous v’là chez mé,

Vous y régentez en grand manitou

Comme si vous étiez chez vous

J’ m’ suis vengé. »

Une minute après,

Milon, collé au mur, fut fusillé.


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