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la galette de la reine

Publié le 07 janvier 2015 par Dubruel

d'après LE GÂTEAU de Maupassant

Elle ne recevait que des hommes supérieurs.

Etre reçu chez elle, constituait un honneur.

Son mari, féru d’agriculture,

Ne jouait qu’un rôle de satellite obscur.

Pourtant ce mari-là

Eut l’idée de créer un état dans l’état.

Sa femme recevait.

Lui aussi recevrait.

Ses amis venaient

Les jours où sa femme invitait

De sorte qu’on se mêlait.

Ou plutôt non, on formait

Deux groupes distincts.

Madame Anseur et ses académiciens

Occupaient le salon Régence.

Monsieur se retirait au fumoir

Avec ses connaissances.

Ironiquement et par caricature,

Mme Anseur appelait le fumoir :

’’Le salon de l’agriculture’’

Les élites du salon dédaignaient

Les agriculteurs jugés trop niais.

Les réceptions s’effectuaient sans frais :

Une brioche et du thé.

Voilà tout.

Monsieur eut préféré de beaucoup

Deux brioches : une pour le salon,

Une autre pour le fumoir.

Mais madame fit une juste observation.

Cette manière de voir

Indiquerait trop clairement

Deux réceptions, deux clans.

Monsieur n’avait pas insisté.

Un seul gâteau sera donc apporté.

Mme Anseur en réservait les honneurs

À son académie

Et passait ensuite la pâtisserie

Aux agriculteurs.

La maitresse de maison

Demandait à l’un des invités du salon.

D’être le découpeur.

Cette mission représentait un honneur :

La fonction entrainait de la supériorité,

Une sorte de royauté.

Le sceptre était le couteau,

L’emblème était le gâteau.

Le découpeur régnant était remarqué

À ses attentions marquées

Envers la maîtresse de maison.

On appelait l’heureux élu du salon :

‘’Le favori du gâteau brioché.’’

Lorsque Mme Anseur s’en était lassé,

Une certaine nervosité

Montait dans l’académie.

…Puis le nouveau découpeur était félicité.

Aucun laboureur,

Pas même monsieur

N’eut droit au privilège de favori.

La brioche fut découpée par une série

De poètes, de musiciens, de présidents…

Mais, calculer les portions

N’avait qu’un temps.

Quand un invité du salon

Était déconsidéré,

Par la belle madame Anseur,

Il devait passer le couteau

Au soupirant nouveau

Et réintégrer

La foule de ses admirateurs.

Ce rituel dura longtemps,

Longtemps.

Mais les comètes palissent,

Perdent de l’éclat, vieillissent.

De fait, l’empressement

Des découpeurs diminua, forcément.

Mme Anseur avait beau manifester

Politesses et amabilités,

On coupait désormais à regret.

On conservait la charge contre son gré.

Puis les élus devinrent rares,

De plus en plus rares.

Une fois, ô prodige, ce fût M. Anseur

Qui ouvrit le gâteau baladeur.

Mais comme il s’est vite lassé,

Mme Anseur elle-même se mit à découper.

Puis elle contraint un invité

Qui n’osa se rétracter.

Le symbole étant connu de tous,

On se regardait en-dessous

Avec des yeux de pharisiens.

Couper la brioche n’était rien

Mais les privilèges qui y étaient liés,

Maintenant épouvantaient.

Dès que le plateau apparaissait,

Les académiciens passaient

Dans le fumoir se mettre à l’abri

Derrière le mari

Qui riait tant et plus.

Les années passèrent.

Personne ne découpa plus.

Or un soir, un homme s’est proposé.

De la brioche, il ignorait le mystère.

-«Vous acceptez de découper ? »

-« C’est avec le plus grand plaisir.

Je suis ravi de l’honneur de participer. »

L’époux, surpris, se mit à sourire.

L’assistance s’étonnait.

Le jeune homme ne comprenait

Ni les gracieusetés discrètes

Ni l’espoir de reconnaissance muette

Que témoignait à son attention

La maitresse de la maison.

La fois suivante, il parut préoccupé.

En regardant l’assemblée huppée,

Il comprit. Et quand sonna l’heure du thé,

Mme Anseur, folle de gaité,

Saisit le plat, chercha des yeux son jeune ami.

Mais il était parti…

Au fond du fumoir. Elle tenta une approche

-« Mon cher monsieur, lui dit-elle,

Voulez-vous découper cette brioche ? »

Il balbutia et rougit jusqu’aux oreilles.

Alors, pris de pitié, monsieur Anseur

Se tourna vers madame Anseur :

-« Voudrais-tu, charmante créature

Ne point nous interrompre,

Quand nous causons agriculture. »

Désormais,

Personne n’est jamais plus invité

À rompre

La brioche de malheur

De la vieille Mme Anseur.


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