Connaissez-vous Lumina Sophie dite Surprise ? Elle est née du côté de Rivière-Pilote, en Martinique, et fut très active dans l’insurrection du Sud de l’île en 1870. Une combattante d’une vingtaine d’années qui paiera cher sa rébellion : la prison à Fort-de-France puis le bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, où elle mourra misérablement en 1879.
La Muse Africa, qui apparaît affublée d’ailes de chauve-souris, vient d’un autre temps, envoyée par on ne sait quel dieu, pour se faire le chantre des hauts faits de Lumina Sophie. Lumina évoque la lumière et Sophie la sagesse. Lumina vient du latin et Sophie du grec. Suzanne Dracius, qui a écrit cette pièce de théâtre, aime ces langues. Mais Lumina Sophie ne pense qu’à deux choses : la révolte contre la misère et l’injustice raciale qui sévit encore après la libération des esclaves (1848), et l’amour d'un homme dont elle ne sait où il est (la rumeur dira qu’il est mort). En d’autres termes : agir aujourd’hui et construire demain. Elle est enceinte. La Muse Africa en fait une Jeanne d’Arc enceinte, elle ne cesse de vouloir faire de cette femme et de celles qui l’accompagnent des « pétroleuses ». Mais elles sont entièrement à leur affaire, criant « A mort Codé ! Vive Lubin ! » Codé est un béké qui « se vantait partout d’avoir eu la peau » de Lubin, « ce négrillon prétentieux », comme il disait. Revendiquant l’enseignement pour tous, des revenus décents, le respect qui est dû à tous les êtres humains, la révolte va être durement réprimée. Et, tandis qu’elle glorifie une sainte résistant aux Anglais, l’histoire aurait eu vite fait d’oublier cette jeune femme enceinte jetée au bagne après la naissance d’un enfant dont elle sera immédiatement séparée et qui mourra quelques mois plus tard faute de soins dans la prison de Fort-de-France. La Muse Africa déploie toute son énergie pour lutter contre cet oubli, bien que les « pétroleuses » semblent n’en avoir rien à faire. C’est qu’elles sont dans le présent et que ce présent les occupe entièrement, et qu’elles n’y cherchent pas la gloire. Il faut cependant que quelqu’un raconte que l’histoire s’est faite ici, en français et en créole, en cris et en chansons, disant la révolte et l’amour. Il faut que quelqu’un inscrive le nom de Lumina Sophie dans les livres, et sur les frontons d’écoles et de salles où se rassemblera la société, un peu plus d’un siècle plus tard.