Par Linh

J’avais commencé à vous écrire un long message pour vous dire tout le bien que je vous souhaite pour 2015. J’y parlais de liberté, de nouveauté, de capacité de renouvellement, d’ouverture vers de grands horizons et aussi d’amour et de bonne chère. J’avais envie de partager avec vous mes dernières aventures. Des liens que je commence à tisser entre mon métier, l’écriture et la cuisine.

Puis ce matin du 7/1.

Je n’ai plus le coeur à essayer d’écrire des mots qui me paraissent si dérisoires devant le pas que la barbarie vient de faire à nos portes. Je me sens glacée, comme je le suis dans la vie devant toutes les personnes qui essaient d’imposer par le chantage, l’invective ou la pression leur point de vue sur le monde, sur ce que nous devrions être ou penser, comment nous devrions agir ou dire et prennent notre capacité à être libres pour une inadaptation aux prisons qu’ils ont créées pour eux-mêmes.

Alors j’ai envie de partager avec vous une histoire. Elle n’est pas joyeuse, vous pouvez vous arrêter ici et je vous souhaite une belle année en vous disant à bientôt. Pour les autres, ces quelques lignes…

La soirée de la veille avait été arrosée, la nuit courte, la journée longue et chaude et j’avais RV. J’étais alors une jeune étudiante en stage dans une banque et j’étais attendue ce soir-là pour un dîner aux chandelles. Je rentrais me doucher, me changer avant de ressortir. Ma vie était belle, c’était normal. Un attroupement s’est formé devant ma rame habituelle. La fatigue aidant, j’ai renoncé à mon habitude et me suis assise deux rames plus loin. C’était à Châtelet les Halles. J’étais tranquillement installée dans la rame de RER, accoudée à la vitre, le menton dans la main gauche, « Le principe d’incertitude » de Michel Rio dans la main droite. Nous étions aux alentours de 17h. En arrivant à la station Saint-Michel, j’ai été éjectée de mon siège, et suis retombée, le menton dans la main gauche, « Le principe d’incertitude » de Michel Rio dans la main droite. Mes dents venaient de s’entrechoquer avec une violence anormale. Provoquant une douleur inconnue. Machinalement, je me suis levée et les portes ont mis une éternité à s’ouvrir. Nous étions en 1995. J’ai avancé sans comprendre au milieu de hurlements, dans une fumée noire à couper au couteau et une odeur âcre de plastique brûlé. C’était un 25 juillet.

Puis je me suis mise à courir comme si ma vie en dépendait, je revoyais ces images de 1975 au Vietnam, de « la fille sur la photo », et je continuais d’entendre les hurlements derrière moi. Mon coeur me suivait à peine, je me disais « cours, tout va sauter ».

J’ai fait surface sur le parvis de Notre-Dame devant l’Hotel-Dieu, pas très sûre d’être entière, ni d’être en vie. J’ai marché le long de la Seine. En quelques minutes, hélicoptères, chaînes de télé, humains déchiquetés et ambulances sont devenus le paysage. J’ai pensé à ces parents, conjoints, amis, enfants attendus chez eux qui ne rentreraient pas ce soir là. Le Quai des Orfèvres m’informera 48h plus tard qu’une bonbonne de gaz emplie de vis et d’écrous venait d’exploser dans ma rame habituelle. La violence de la guerre a fait irruption dans mon monde alors feutré d’étudiante.

Ce 7 janvier, la plaie s’est réouverte. La violence de la guerre a fait irruption dans mon coeur de femme libre.

#jesuischarlie

« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » Discours de la servitude volontaire – E. de La Boetie.

Je vous souhaite en cette nouvelle année, de rester debout. Et libres.

Je vous embrasse,

Linh


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