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[note de lecture] ".../6", de Bruno Fern, par Henri Droguet

Par Florence Trocmé

 
FernDans les années 30 du siècle dernier, le groupe d'intervention Octobre déclamait sur les marchés, les champs de foire, les cours des immeubles où s'entassaient les masses dites laborieuses, la sortie des bagnes industriels la Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France de Prévert. Il arrivait que les prolétaires (pour d'autres bonnes raisons aussi) s'indignassent, se missent en grève sur le tas, occupassent dans la joie et la bonne humeur leurs lieux de labeur, chantassent collectivement L'internationale, obtinssent même des résultats et allassent voir la mer. C'était le bon temps. 
 
Les voyageurs prolétarisés d'aujourd'hui ont une fâcheuse tendance à voyager sous les roues, sous les eaux, ont des noms à coucher dehors et des papiers improbables. C'est à cette nouvelle catégorie de voyageurs sans trop de bagages que Bruno Fern consacre son très récent Carnet de voyage, sixième numéro de la revue de silence intitulée précisément ... / points de suspension et publiée à Caen par Ettore Labbate. 
 
Il s'agit de 54 brèves séquences (massivement à l'indicatif présent) introduites par la formule: "Ceux qui voyagent..." écho manifeste du "Ceux qui pieusement..." du texte de Prévert signalé plus haut. 
Ces séquences confrontent par alternance et sans commentaire les migrants clandestins du 1/3 monde et les voyageurs sur-protégés, sur-équipés, sûrs d'eux-mêmes, de l'Occident développé. Le tout est assorti de références documentées à l'actualité, de données statistiques (saviez-vous que vous partez en vacances quand vous passez quatre nuits consécutives hors du domicile au cours des 12 derniers mois (...) hors motifs professionnels?), de calembours furieux "ménagent leur monture de lunettes modèle classique Marc 0'Polo", "aux îles Sandwich ne font parfois qu'une bouchée", d'échos référentiels détournés: "songent à la douleur d'aller là-bas vivre seuls", "descendent des fleuves impossibles", de l'humour noir de noir. 
 
Et pas de discours, de patenôtres, de sermons de belles âmes dans cet exposé sec (c'est le dernier mot), rageur, impitoyable. C'est ici du pur Fern, à l'os, en réduction. 
Et voici qu'ici un révolutionnaire, un dur, un vrai, fera peut-être des réserves. Ce texte, plutôt que le publier à 50 ex. sur du papier Conqueror vergé 120 gr (220 gr pour la couverture), n'aurait-il pas été plus utile (utile...?) de l'imprimer sous forme de tracts 21 x 29,7 cm, 60 ou 84 gr/m2, recto/verso, 1 interligne, à diffuser ou à clamer (en slam) sur les marchés, les champs de foire, les sorties des bagnes industriels, les super et hyper-marchés, les festivals de toute nature, tous les lieux publics imaginaires, les ports, les aéroports, ailleurs et partout? 
Peut-être? peut-être? la question n'est pas inessentielle, mais nous ne sommes plus en 1931, 32, 33, 34, 35, 36... 
 
Et tel qu'il a le mérite d'être le tract de Bruno Fern n'est pas un décoratif bibelot d'inanité sonore. Certes non. 
 
[Henri Droguet]

 
Bruno Fern, ... / 6, ... / points de suspension, revue trimestrielle de silence, chez Ettore Labbate, 9, place Venoise 14000 Caen, [email protected], 2014

 
 


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