Magazine France

401ème semaine politique: la France grâce à Charlie Hebdo

Publié le 10 janvier 2015 par Juan

Dix-sept innocents et trois assassins qui se réclamaient de l'islam radical ont été tués cette semaine. Un premier assassinat politique, doublé d'un attentat antisémite ont frappé les esprits, mais rassemblé les coeurs, à quelques exceptions près.

Trois ans après l'affaire Merah, la France a aussi échappé à la fébrilité.

A quelques exceptions près.


L'affront de l'amalgame
Marine Le Pen profite. Le massacre de Charlie Hebdo par deux barrés qui criaient "Allah est grand", "on a vengé le prophète", en flinguant à tout va était comme un pain béni pour sa thèse principale. Elle qui a remplacé les Juifs par les Musulmans comme cible de prédilection de son combat de purification de la Fraaaance, Marine Le Pen, donc, avait comme une occasion rêvée qu'elle s'est empressée de saisir avec le massacre de Charlie Hebdo.
Elle ne s'en priva pas. "La peur est là", asséna-t-elle. Sa première et très officielle réaction fut assez simple: "C'est ma responsabilité de dire que la peur doit être surmontée et de dire que cet attentat doit au contraire libérer notre parole face au fondamentalisme islamique, ne pas se taire, et commencer par oser nommer ce qui s'est passé. Ne pas craindre de dire les mots : il s'agit d'un attentat terroriste commis au nom de l'islamisme radical."
Libérer la parole, c'est-à-dire lâcher les chiens, le chemin était tracé. Certains n'avaient qu'à suivre les signes. Le Front national fut ainsi le premier parti politique national à omettre, par la voix de sa présidente, d'évoquer le risque d'amalgame. Marine Le Pen préférait cliver, encore une fois. Tous les autres responsables politiques, de droite comme de gauche, ont choisi une autre démarche. François Hollande, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, et Nicolas Sarkozy ont tous, au nom de leur formation politique, dénoncer le terrorisme islamiste et appeler à éviter les amalgames. Marine Le Pen fut la seule à se démarquer, refusant l'unité nationale.
"Le combat va être long et difficile. Il ne faut pas se tromper d'adversaire".
Alain Juppé 
Dès mercredi, des mosquée sont attaquées ou vandalisées. Assimiler les tueurs avec les musulmans était le pire et le plus simple des pièges. Diviser la société, terroriser les citoyens, affaiblir la République, voici l'objectif de ces actes barbares.
Partout en France, les autorités religieuses musulmanes avaient décidé des prières. Sur internet, on a bien trouvé quelques racailles se féliciter à chaud que la troupe de Charlie ait payé de leur vie leurs dessins sur l'islam. Mais ces inconscients n'étaient que peu de chose, des marginaux souvent rapidement contraints à fermer leurs comptes Twitter. Sur les réseaux sociaux, la fachosphère s'en donna quand même à coeur joie: elle agite les peurs, raille l'émotion collective, pointe du doigt vers l'islam.
Le choc de l'émotion
Qui n'a pas essuyé une larme après cette effroyable séquence ? Mercredi soir, Hollande parle à la télévision. Il est ému comme d'autres. Il connaissait personnellement certaines des victimes. Il avait rencontré la troupe de Charlie Hebdo une semaine auparavant. Mercredi soir, près de 100.000 personnes se rassemblent déjà un peu partout en France.
Manuel Valls commet l'erreur d'inviter à une manifestation d'hommage. Le PS s'empare de l'idée, seconde erreur. Les partis républicains refusent de co-organiser la manifestation avec le FN. Le Pen joue la pleureuse, elle proteste de cette éviction.
Jeudi matin, Mélenchon assène: "Il ne faut pas nommer ‘terroristes' des gens qui ne nous terrorisent pas!" Oui, il n’y avait aucune raison d’avoir peur, mais toutes les raisons d’être effaré. Mélenchon est aussi l'un des rares à appeler un chat un chat, et les meurtres de Charlie Hebdo, un assassinat politique.
"Je suis Charlie", le slogan a envahi les vitrines, les couvertures de presse, les manifestations spontanées dès le mercredi soir. Ce cri du coeur est devenu l'un des hashtags les plus populaires de l'histoire de Twitter. Les Anonymous publient plusieurs videos d'hommage.  Libération héberge l'équipe du journal pour la prochaine édition.
L'émotion dans le pays est immense. Elle rassemble, elle rapproche.
Elle est inédite dans ce siècle.
- Elsa Cayat, 54 ans
- Jean Cabut, dit "Cabu", 76 ans
- Stéphane Charbonnier, dit "Charb", 47 ans
- Philippe Honoré, dit "Honoré", 73 ans
- Bernard Verlhac, dit « Tignous », 57 ans
- Georges Wolinski, dit "Wolinski", 80 ans
- Bernard Maris, « Oncle Bernard », 68 ans
- Mustapha Ourrad, correcteur
- Michel Renaud, « Rendez-vous du carnet de Voyage »
- Frédéric Boisseau, 42 ans, agent de maintenance
- Franck Brinsolaro, 49 ans, policier
- Ahmed Merabet, 42 ans, policier
La France venait de connaître son 11 septembre.
Et ce n'était pas fini.
Jeudi, le drame se poursuit.  
Après l'assassinat politique, voici l'attentat. Une policière municipale à Montrouge est tuée, un agent d'entretien est grièvement blessé. On apprendra plus tard que l'auteur cherchait à venir mitrailler une chaîne de télévision.
Vendredi, la traque s'achève par l'encerclement des deux tueurs de Charlie Hebdo dans un hangar d'une imprimerie en Seine-et-Marne. Porte de Vincennes, le même homme prend en otage les clients d'un supermarché casher, en tuant quatre au passage. Cet acte antisémite serait "coordonné" avec les auteurs du massacre de Charlie Hebdo. Les écoles sont bouclées, le boulevard périphérique fermé. Ambiance de guerre, en plein Paris.
La police s'énerve, à juste titre, des caméramen présents un peu partout et qui filment en direct.  Les visages des quatre suspects, les deux frères Kouachi de la tuerie de Charlie Hebdo, l'auteur présumé de la fusillade de Montrouge et sa compagne ont été affichés toute au long de la journée sur les écrans. Vers 17 heures, tout est réglé. Les preneurs d'otage sont tués. On déplore encore 4 victimes civiles, tués par le fou de la Porte de Vincennes.
BFM révèle avoir interviewé l'un des frères Kouachi, d'une part, et le preneur d'otages parisien, d'autre part. Le premier se réclame d'Al Qaïda au Yémen. Le second de Daesch. Cette incohérence dans les propos sera analysée plus tard, ou pas. Déjà, quelques journalistes s'interrogent sur les failles des services de renseignement et l'existence d'une réseau.
La France a connu ce jour-là son 11 septembre. Le constat émane du Monde. Dix-sept morts innocents en trois jours, dont trois policiers, une dizaine de blessés graves.



L'épilogue provisoire
Le temps des règlements, des comptes et des additions est arrivé assez vite, sans surprise, mais avec nausée. On reproche à la gauche radicale son aveuglement contre l'islamophobie. On s'est souvenu d'avoir critiqué Charlie Hebdo (également dans ces colonnes). On pourrait, on devrait faire le ménage dans ce passé très récent.

On pourrait, on devrait, se demander si les excitations permanentes, les brimades, les bêtises, l'intolérance au quotidien contre la religion musulmane ne sont pas comme des poignées entières de grain que l'on donne à moudre aux extrémistes de l'autre rive. Une déferlante d'actes islamophobes frappe déjà le pays.
A la droite de la droite, c'est-à-dire le Front national et quelques furibards de la gauche s'écharpaient déjà sur les manifestations du dimanche. François Hollande défilera avec la quasi-totalité des chefs d'Etat européens - Angela Merkel (Allemagne), Mariano Rajoy (Espagne), Matteo renzi (Italie), David Cameron (Royaume Uni), Donald Tusk (Pologne), l'ineffable Viktor Orban (Hongrie), mais aussi les chefs de gouvernement danois, suédois, norvégien, belge, néerlandais, maltais, finlandais, portugais et luxembourgeois. La totalité des Etatts membres de l'Union européenne seront là.
Mais il y aura aussi des anonymes, bien davantage d'anonymes que ces quelques représentants politiques.
Certains y vont quand même rapidement de leur tri. Quelques partis trotskystes annoncent boycotter l'hommage. Sur les réseaux sociaux, d'autres complètent de leurs énervements contre ce qu'ils qualifient de récupération politique.  Ils oublient l'essentiel: il faut montrer qu'on refuse la peur et la division après le drame.
L'extrême droite enchaîne les surenchères: Le Pen réclame la suspension des accords de Schenghen, la déchéance de nationalité, un référendum sur la peine de mort: à l'instrumentalisation politicienne, rapide et sans retenue, Marine Le Pen ajoute une fébrilité anxiogène.
C'est trop facile d'être combattu par des cons. 
Nous chipons cette conclusion à Daniel Bernard.
#JeSuisCharlie


Retour à La Une de Logo Paperblog