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[anthologie permanente] Jean-Paul Michel

Par Florence Trocmé

« Nous appelons de nos vœux un peu de sang-froid dans la pensée et dans les arts » 
 
Lassitude, doutes, abandons dans les arts, trop souvent, ces jours-ci – quand ce n’est pas, en face, la folâtrerie et le clinquant, non moins déprimants, du « non-art » officiel. – A lui la palme.  
Le re-surgissement, insistant, devant la conscience interdite, d’apories « oubliées », dont la méditation fut longtemps un signe sûr d’une effectivité de la pensée, frappe la disposition moderne à la fiction d’un désarroi inattendu. Inversement proportionnel, exactement, à la naïveté de ses attentes, qui étaient grandes : rien moins qu’un infini de liberté sans souffrance « en avant » pour la vie.  
Le syndrome dépressif affecte la plupart.  
À quelques fins vivants joueurs près, la fausse tautologie se propage, avec la même aveugle unanimité qu’hier l’aveugle évidence inverse : la réalité accablante de l’horreur disqualifierait l’art dans son principe 
On osera objecter.  
Rien a-t-il jamais donné sens (valeur pour la vie, fondée en nécessité, nous voulons dire en désespoir), comme le froid constat de la réalité de l’horreur ?  
À supposer même que l’horreur ait une histoire, - il n’y aurait pas moins de lucidité à la regarder comme l’élément fatal de la consumation effective du vivant – on ne saurait mieux fonder en nécessité le pari humain sur une puissance des signes de nos arts que de l’autoriser de ces effrois. Seule opération qui leur puisse donner contrepartie, faire obstacle : lever des digues, opérer, au moins, un pas de côté. Chance alors donnée à une non moins réelle levée d’être en face : d’autres dispositions du monde pouvant suivre d’un autre emploi du langage, de la cérémonie qu’est tout langage. – Mince chance, on en convient, mais la seule.  
Adossés à ces structures – contraintes, on le remarquera – et celles du symbolique -, la poésie et l’art deviennent des dispositifs pratiques, auxquels il peut être réclamé des vérifications touchant l’efficace de leurs tours. Des œuvres motivées, portées par une idée élevée de leurs devoirs à l’endroit d’elles-mêmes n’auraient aucune difficulté à produire ces preuves, celles-ci consisteraient-elles, dans un petit nombre de cas très précieux en de « purs artifices » : des mouvements de grâce pure.  
Les mythes de fondation, la scène tragique, la conjuration des fatalités de « nature » dans le vivant qui symbolise, la quête de la Voie – comme, aujourd’hui, telles investigations risquées proposant une scène au réel moderne (osant ailleurs, autrement « le lieu et la formule ») en reçoivent d’imprenables légitimités.  
 
Nous appelons de nos vœux un peu de sang-froid dans la pensée et dans les arts. Le ton froid convient à l’expression de vérités durables. Non moins qu’à celle de la protestation passionnée contre les atrocités qui secouent trop prévisiblement ce « morceau de nature devenu fou » : l’inhumain de l’humain.  
 
Jean-Paul Michel, Écrits sur la poésie, 1981-2012, Flammarion, 2013, pp 157 & 158. 


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