Magazine Politique

Rassembler

Publié le 15 janvier 2015 par Rolandlabregere

Tout politique a l’idée de rassembler chevillée à son corpus lexical. Rassembler est l’obsession de celui qui fait métier de gouverner. « Rassembler » et « rassemblement » comptent parmi les mots les plus en usage dans le discours des acteurs de la vie publique.

Les tragiques événements qui ont conduit à l’assassinat de 17 personnes entre le 7 et le 9 janvier ne font qu’amplifier l’usage d’un terme désormais intégré dans le matériau linguistique de premier niveau des acteurs de la vie publique. Toute ambition passe par l’action de rassembler. Trop utilisé, un terme entre vite dans le corpus des mots qui perdent de leur substance par des emplois répétés dans de multiples situations de communication.

Les appels au rassemblement s’enchaînent dès que l’information des événements se répand dans les médias. Le jeudi 8 janvier, c’est un appel au rassemblement qui charpente la première prise de parole de Manuel Valls consacrée à la progression de l’enquête sur l’attentat commis la veille à la rédaction de Charlie Hebdo. « Nous avons besoin de nous rassembler et de dire : NON. L'État de droit, la démocratie, la liberté sont plus forts que le terrorisme ». Dans son intervention, Manuel Valls mentionne les valeurs de la France autour desquelles la société doit se rassembler pour combattre le terrorisme. Dans les jours qui suivent, les interventions se succèdent en autant d’appels à l’idée de se rassembler et à celle de rassemblement. A juste titre. Les imposants cortèges des 10 et 11 janvier qui ont marqué le recueillement et la solidarité envers les victimes et le souci de protéger la liberté de la presse concrétisent ces démarches.

L’appel à rassembler, à former un ou le rassemblement fait partie de la trousse de première nécessité du communicant appelé à se prononcer ou à se situer par rapport à un événement. Ainsi, Nicolas Sarkosy, élu sans panache à la tête de l’UMP, s’est laissé aller sur son compte Facebook à promettre de «créer les conditions du plus large rassemblement ». Depuis, il enchaîne les déclarations et laisse voir l’énergie qu’il met à rassembler ses idées. L’ancien président illustre parfaitement la facilité plastique des mots utilisés à l’excès. La destinée des mots dans le contexte de sur-médiatisation est de pouvoir être mobilisée à chaud, en réaction à un événement ou à un fait et en référence à un objectif dans une condition moins immédiate.

Ce qui aurait été jadis désigné par les médias comme des indiscrétions et qui désormais est connu sous la dénomination d’éléments de langage, laisse entendre que Nicolas Sarkosy à la recherche d’une nouvelle image pour le parti qu’il a épuisé souhaite renommer l’UMP. Il se murmure que le substantif « Le Rassemblement » tiendrait la corde. Cette dénomination aurait le mérite, selon l’ancien leader de la droite, de ne pas être un acronyme et ainsi d’affecter au parti, sans ambiguïté, le sens porté par le terme lui-même. Nicolas Sarkosy aurait-il envie de partager un petit coin de parapluie avec l’égérie du Rassemblement bleu marine ? Son Rassemblement sera-t-il paré de bleu horizon 2017 ? Reprendre une dénomination plusieurs fois utilisée par des partis auxquels historiquement la nouvelle UMP est attachée, est-ce la meilleure façon de faire passer aux français le message « que le parti a évolué » ? Il s’agirait plus simplement, par le mot, de laisser entendre que Le Rassemblement est la bonne formule pour gouverner puisque l’intérêt de tous serait ainsi préservé.

Nul n’est propriétaire des mots qu’il emploie. Pour marquer son soutien à certains députés socialistes, Olivier Besancenot appelle les frondeurs du PS à se rassembler contre la loi Macron (Le Point, 12/12/2014). Pour mettre en route ce rassemblement, le leader du NPA explique « qu’il faut organiser un grand mouvement d'envergure » avec « les frondeurs du Parti socialiste, des organisations de la gauche non gouvernementale et des organisations syndicales opposées à la loi Macron ». Faute de mettre en route ce rassemblement, Olivier Besancenot indique que Manuel Valls pourrait se révéler capable de faire « mourir » la gauche « avant la fin du quinquennat ».

De son côté, Thierry Lepaon, a réussi à rassembler ses camarades de la CGT arc-boutés dans le franc désir de le voir lâcher le gouvernail du navire amiral du syndicalisme français. Ce n’était pourtant pas son projet initial, lui qui déclarait ne pas vouloir être « le rat qui quitte le navire ». Il ajoutait aussitôt (Le Monde, 8 janvier 2015) que « si demain je ne suis plus celui qui peut rassembler les organisations de la CGT, je partirai ». Le lendemain, cette fois dans Le Parisien, il rappelle que son « but est de rassembler la CGT. Si je n’y arrive pas, j’en tirerai les conséquences ». Au même moment, un dirigeant de fédération, selon Le Monde, dresse le portrait d’un secrétaire général idéalement acceptable pour le syndicat. Cela serait, dit-il, de « trouver un secrétaire général capable de rassembler et de faire la transition avec le prochain congrès ». Un de ses successeurs pressentis, Philippe Martinez, est récusé car il est estimé « incapable de rassembler ». (Le Monde, 14 janvier 2015). 

Au parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis pense être celui qui saurait le mieux rassembler les tendances. A ses yeux,  il n’y a personne d'autre que lui pour préserver l’unité du parti. «Je pense que les socialistes ont envie d'être rassemblés, ils perçoivent tous que dans le moment présent on veut faire éclater le PS », explique-t-il.

Chez les centristes de l’UDI, élu président, Jean-Christophe Lagarde (Le Point, le 13/11/2014) se donne modestement pour objectif de « rassembler toute la famille UDI ». Cet objectif ne devrait pas être insurmontable. Fort de son succès relatif aux sénatoriales, le Front national avait vanté « sa capacité à rassembler ».

Constater que des leaders d’opinion de sensibilités différentes ou séparés par des idéologies irréconciliables recourent au même matériau linguistique ne signifie nullement que le vocabulaire n’a ni chair ni odeur. Cela témoigne du fait que le style d’argumentation et les choix lexicaux sont identiques chez ceux qui pratiquent la parole publique. Les mots véhiculent des représentations. Les destinataires des messages chargent les mots de contenus en accord avec leurs propres représentations. Les politiques recherchent les mots les plus à même de (re)faire du lien avec les citoyens. Savent-ils que les mots prennent place dans une transaction, qui, pour être pleinement investie, nécessite la confiance de ceux auxquels ils sont destinés ?


Retour à La Une de Logo Paperblog