Six fourmis blanches de Sandrine Collette 4/5 (28-12-2014)
Six fourmis blanches (275 pages) sort le 22 janvier 2015 dans la collection Sueurs Froides des Editions Denoël.
l’histoire (éditeur) :
Le mal rôde depuis toujours dans ces montagnes maudites. Parviendront-ils à lui échapper? Dressé sur un sommet aride et glacé, un homme à la haute stature s’apprête pour la cérémonie du sacrifice. Très loin au-dessous de lui, le village entier retient son souffle en le contemplant. À des kilomètres de là, partie pour trois jours de trek intense, Lou contemple les silhouettes qui marchent devant elle, ployées par l’effort. Leur cordée a l’air si fragile dans ce paysage vertigineux. On dirait six fourmis blanches… Lou l’ignore encore, mais dès demain ils ne seront plus que cinq. Égarés dans une effroyable tempête, terrifiés par la mort de leur compagnon, c’est pour leur propre survie qu’ils vont devoir lutter.
Mon avis :
Comme j’ai été heureuse de trouver dans ma PAL la nouvelle parution de Sandrine Collette ! Une surprise de taille, puisque je ne savais pas que l’auteure d’ Un vent de cendres et Des noeuds d’acier publiait fin janvier un nouveau titre. Une fois la surprise passée, je l’ai attaqué, dévoré et terminé. L’évolution de l’auteure dans le choix de ses intrigues et dans la tension qu’elle y insuffle m’a totalement convaincue. Sandrine Collette est une excellente romancière !
J’ai particulièrement aimé cette manière qu’elle a de plonger doucement le lecteur dans l’histoire, dans ces décors aux paysages de montages sauvages, hostiles, glacials et inquiétants. Entre l’histoire de Mathias, sacrificateur solitaire, à qui l’on impose une jeune « stagiaire », et celle de Lou et Elias, jeune couple parti tester un trekking en Albanie, avec 4 autres chanceux (nos fameuses 6 fourmis blanches), les liens se comptent sur les doigts de la main : la cruauté de la nature, son imprévisibilité et l’acharnement des hommes. Avec cela, Sandrine Collette offre un roman oppressant où le lecteur s’attend à tout moment à rencontrer le diable. La pression monte doucement à mesure que l’on se rapproche des personnages et qu’on s’y attache. On finit par avoir quelques sueurs froides, frigorifié par cette impeccable tempête de neige et stressé par tout le reste.
Le style de Sandrine Collette est parfaitement maîtrisé. L’intrigue se construit en alternant deux narrations bien différentes qui correspondent très justement à chacun des narrateurs. L’une plus posée, collant si bien à Mathias, quarantenaire calme et mesuré, vivant dans un autre siècle fait d’offrandes et d’esprits. L’autre plus exubérante est attachée à la personnalité de Lou, une jeune femme de 25 ans, petit gabarit de 45 kg un peu fougueux qui, à juste titre, est rapidement gagné par l’angoisse.
Et ce sentiment finit vite par vous avoir à votre tour parce que vous sentez le danger partout et que vous ne savez jamais à quoi vous préparer en tournant la page suivante. Par petite touche la narration prépare au drame, sans savoir lequel.
« Oublie ce que tu crois savoir. La montagne est effroyable, siffle-t-il. Et dans mon demi-sommeil, je sais que nous allons vers elle, et que quelque chose nous attend. Quelque chose que nous aurions tout fait pour éviter, si nous avions su. Mais personne ne nous a prévenus. Personne n’aurait pu imaginer. Et nous sommes tous partie prenante de cette aventure qui va virer à l’enfer. » Page 50
Avec Six fourmis blanches, Sandrine Collette gagne sa place aux côtés des meilleurs auteurs du genre. Avec des situations réalistes qui font froid dans le dos, des personnages pris dans les tenailles des éléments naturels, et ce quelque chose en plus…. Elle nous plonge dans un très bon roman noir que l’on referme avec une étrange sensation de mélancolie, chassant cette angoisse qui ne nous quittait plus.
« Étranges certitudes qui ont perduré par-delà les siècles, jusqu’à cette époque de hautes technologies et de systèmes financiers aberrants : nous, les sacrificateurs, nous sommes parmi les hommes les plus respectés de ces vallées rudes et butées. Les seuls à pouvoir contenir les esprits de la montagne, auxquels on cache les nouveau-nés de peur qu’ils ne les tuent. C’est nous qui avons ordonné aux mères, il y a mille ans, de ne pas parler à leurs nourrissons que par murmures, jusqu’à ce qu’ils soient sevrés. (…) Du sang pour un peu de bonheur. » Page 15-16
« Une trace lugubre, celle d’un corps que l’on emmène, toute de neige tassée et de crachats de glace, un chemin qui s’éloigne, happé par les ténèbres. Et soudain au loin, mais pas assez loin, ou peut-être ne sommes-nous plus capables d’évaluer, un grondement à nouveau. Rauque, alarmant. Une chose horrible, rythmée comme un fauve qui court. Nos ventres tremblent sous la vibration. Si la montagne s’ouvrait en craquant, ce ne serait pas plus sinistre. » Page 113-114