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Alda et Maria, de Pocas Pascoal

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4,5/5 

À l’aube des années 1980, Alda et Maria, deux soeurs de seize et dix-sept ans sont contraintes de quitter l’Angola pour venir s’installer dans la banlieue de Lisbonne. Elles laissent derrière elles la guerre et leur famille, en particulier leur mère qui doit venir les rejoindre. 

Alda et Maria est le premier long-métrage de fiction de Pocas Pascoal. La réalisatrice avoue volontiers qu’elle s’est inspiré de sa propre histoire pour écrire son film. S’agit-il alors seulement d’une oeuvre autobiographique ? Est-ce au contraire un récit intime destiné à devenir exemple politique ? 

© JHR Films

© JHR Films

Le rapport à l’autre et à l’oeuvre

Alda et Maria sont jouées respectivement par Clomara Morais et Cheila Lima. Les deux actrices, non-professionnelles, sont absolument prodigieuses et brillent par une vérité de jeu rare. C’est un jeu pudique, tout en retenue. 

Tantôt petites filles, riant aux éclats sur la plage, lieu d’évasion, tantôt femmes quand Maria découvre le sexe dans les bras de Carlos, un autre immigré rencontré en banlieue de Lisbonne. Alda est dans la pièce d’à côté, les écoutant et se masturbant, excitée par les échos du plaisir de sa soeur et de son amant. Elles forment en soi un tout, étant chacune le miroir de l’autre. Elles n’ont alors aucun autre mode de référence pour envisager le monde.

Le film se focalise sur le lien qui les unit, un lien fraternel, indéfectible, du moins, jusqu’à ce qu’elles n’aient plus les mêmes objectifs. Alda fantasme sur la vie à Paris, Maria, elle, souhaite retourner en Angola. Dès lors qu’elles gagnent en maturité et qu’elles affirment individuellement le chemin qu’elles veulent prendre, la gémellité qui les lie s’amenuise. Jusqu’à la scène finale, une scène de séparation très forte, se poursuivant, avec un écran noir, pendant le générique de fin, où seuls se distinguent le bruit des pas de Maria. 

La proximité entre Alda et Maria vient de prime abord de la nécessité de survivre. L’acte de leur séparation en est une autre, afin de ne plus se définir par la réflection perpétuelle de l’autre, afin qu’elles soient chacune un je autonome, affranchi d’une gémellité castratrice.  

Pocas Pascoal expérimente elle-même cette relation de gémellité entre son oeuvre et sa posture de réalisatrice. Le scénario ressemble à son histoire et c’est par la catharsis qu’elle peut créer une distance avec cet épisode de sa vie, en n’étant pas le reflet de ses personnages mais celle qui les façonne.

L’exil initiatique

Alda et Maria ne sont que des adolescentes. Elles arrivent au Portugal avec peu d’argent, suffisamment pour pouvoir rester quelques jours dans une pension, à Lisbonne. Finalement, elles décident d’aller dans la banlieue de la capitale portugaise. À seize et dix-sept ans, les deux soeurs passent brutalement au monde adulte, précipité par un double exil. 

D’une part, elles sont éloignées de leur Angola natal, éloignées de leur famille, de leur culture. Le monde tel qu’elles le connaissaient n’est plus et c’est par instinct de survie qu’elles doivent évoluer au sein d’une nouvelle société qu’elles ne connaissent pas. Alda et Maria n’ont plus de repères, hormis le sentiment de perte qu’elles subissent. 

D’autre part, la ville qu’elles pensaient être une terre d’accueil s’avère rapidement être un système dont elles n’ont pas les codes. Le film s’ouvre sur une Lisbonne idéale et idéalisée, une carte postale dans laquelle les deux soeurs ne peuvent apparaître que brièvement, il n’y a aucun accueil possible pour elles, aucune place à pourvoir. 

Enfin, l’enjeu dramatique du scénario se situe dans la construction des identités d’Alda et Maria, malgré ce double exil. Pour survivre dans cette urbanité hostile, les deux soeurs, seules responsables désormais de leur avenir, accèdent à un mode de survie instinctif, un monde de la débrouille, fait de bric et de broc. 

© JHR Films

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Le refuge comme espace menaçant

Au début du film, Alda et Maria quittent une pension qu’elles ne peuvent plus payer, sans régler ce qu’elles doivent à la propriétaire de l’établissement. Ce premier événement détermine l’impossibilité d’avoir un chez-soi, en somme, l’impossibilité de la propriété d’un lieu, d’un espace sans contraintes.

Le second lieu qu’elles s’approprient est un container de chantier. Ce refuge de fortune est un squat, faisant peser sur leurs épaules la menace d’être chassées. La tension est alors très forte puisqu’elles vivent dans la peur. Leur exil les place dans un état transitoire permanent : elles sont ancrées dans un passé qui n’est plus et leurs tentatives de survie sont presque immédiatement défaites. 

Le refuge qu’elles gardent le plus longtemps est un appartement dans une cité HLM, dans la banlieue de Lisbonne. L’esthétique dysphorique des plans filmant la cité annonce déjà l’impossibilité de conserver ce nouveau squat. Les plans larges accentuent la distance qui existe entre les soeurs et le monde qui les entoure. Les bâtiments, gris et peu accueillants, sont filmés de loin pour souligner le danger qui rôde et l’épée de Damoclès sur leurs épaules, jusqu’à ce qu’un homme vienne en clamer la propriété avec violence. En plus d’être hors-la-loi, Alda et Maria sont hors-le-monde

De l’absence des lois à la loi du Talion : “la vie nue” de Giorgio Agamben

Marginalisées, Alda et Maria n’ont plus aucune loi à suivre. La plus jeune des soeurs, Maria, en vient même à voler dans un supermarché. Ce geste instinctif n’est pas montré par la réalisatrice comme un geste punissable. En effet, il semble naturel et même forcé : sans argent, il faut qu’elles se nourrissent. Néanmoins, plus tard, Maria dérobe dans une soirée un collier dans un sac. Cette fois, il ne s’agit plus que d’un larcin. Il n’y a plus de construction identitaire puisque Maria semble être le produit d’un déterminisme quasiment zolien. Pocas Pascoal fait de ses personnages l’évolution et le résultat de la marginalisation, sans qu’ils puissent réellement changer leur condition. Mises à l’écart de la société, Alda et Maria n’incarnent plus que des “vies nues”, puisque l’État ne reconnaît pas leur identité par ses lois. 

Outre l’homme qui réclame l’appartement qu’elles occupent, le personnage central personnalisant la loi du Talion est celui de la couturière. De prime abord, cette femme protège les deux filles, d’un geste maternel. C’est elle qui leur parle de la possibilité d’occuper un appartement, elle leur donne à manger et leur propose même de gagner un peu d’argent en travaillant pour elle. C’est un personnage hautement paradoxal et problématique. Elle en vient finalement à exploiter les deux soeurs et à les rejeter, alors qu’elle a vécu le même exil et qu’elle a perdu son fils. Si elle devient maître, c’est parce qu’elle ne veut plus être esclave d’une situation ou d’un exil, et ce même aux dépens de deux jeunes adolescentes, qui auraient l’âge de son fils. Elle veut survivre et se met donc en surplomb par rapport à ceux qui ont une histoire similaire à la sienne, ayant pour elle la reconnaissance de l’État par le travail. 

Itinéraire de l’exil : de l’espoir à la résignation 

Le film est fondé tout entier sur un schéma de dualité puissant. Pocas Pascoal déconstruit une à une toutes les possibilités d’espoir pour ses personnages. Le seul espace reliant l’Angola au Portugal est la cabine téléphonique, dans laquelle Alda et Maria se retrouvent tous les dimanches, à neuf heures du matin. Elles y attendent, fébriles, un appel de leur mère. Cet espoir se transforme peu à peu en angoisse morbide, puis, un matin, la mauvaise nouvelle tombe comme un couperet, leur mère est morte. Alda refuse un instant de quitter la cabine, comme si ce n’était qu’un cauchemar à effacer. 

Encore une fois, Alda et Maria sont deux personnages qui subissent les actions et leur marginalisation. Elles sont déterminées à ne pas pouvoir s’en sortir. La résignation intervient malgré elles, puisqu’elle apparaît comme une évidence. 

© JHR Films

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La contextualisation sociale et politique en filigrane 

Interrogée au sujet du message politique de son film, Pocas Pascoal répond simplement que “tout est là”. 

En effet, parler de sa propre histoire, quand elle rejoint les pages de l’Histoire, est un exercice qui lie forcément le particulier au général. De ce récit intime et personnel, Pocas Pascoal ne cherche pas à dénoncer, ni même à porter une idéologie. Toutefois, le message est nécessairement politique. C’est un film fondé sur les années 80, mais il sort en salles en 2015, ce qui en fait une contextualisation de problèmes sociétaux évidente. On y voit les thèmes du racisme, de l’assimilation, de la marginalisation, sous la coupe d’un des sujets les plus houleux : l’immigration. 

Pocas Pascoal n’impose aucun idéal, aucune position, elle propose plutôt de suivre deux Angolaises perdues sans leur famille, qui subissent l’immigration et dont elles sont un rouage malgré elles. La pudeur est le vecteur des émotions fragiles que choisit la réalisatrice. Il y a besoin de peu de mots, les yeux des deux actrices en disent suffisamment. Elles sont puissamment belles et innocentes. Voilà, c’est un film innocent, simple mais loin d’être simpliste, rendant sa part d’humanité et d’identité à deux soeurs perdues. La simplicité du film réside notamment dans le choix d’intégrer des musiques qui ne sont pas extradiégétiques, afin de ne pas provoquer à outrance l’émotion des spectacteurs. Alda et Maria est en somme une excellente surprise de ce début d’année 2015. C’est un exemple artistique et politique qui n’est pas à suivre mais à voir. 

Jean-Baptiste Colas-Gillot

Film en salles depuis le 14 janvier 2015


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