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The Book of Negroes (2015): cette méprisable race

Publié le 23 janvier 2015 par Jfcd @enseriestv

The Book of Negroes est une nouvelle minisérie de six épisodes diffusée depuis le début janvier sur les ondes de CBC au Canada. L’histoire débute à Bayo (Guinée) en Afrique au XVIIIe siècle alors que la jeune Aminata Diallo (Shailyn Pierre-Dixon (jeune), puis Aunjanue Ellis) assiste impuissante au meurtre de son père et est ensuite embarquée de force dans un négrier en route vers les 13 colonies d’Amérique afin de travailler en tant qu’esclave dans un champ de coton de la Caroline du Sud. Par la suite, la jeune femme se retrouve à New York alors que la guerre d’Indépendance vient tout juste de commencer. S’étant rangé du côté anglais, Aminata se rend ensuite en Nouvelle-Écosse et son périple n’est pas prêt de s’arrêter là. Adaptation du best-seller de l’auteur canadien Lawrence Hill, The Book of Negroes aborde un pan de l’histoire canadienne ô combien fascinant et pour le moins méconnu. Grâce à une mise en scène et une production d’envergure, on est à même de constater le destin cruel auquel étaient soumis ces Africains, cette race honnie de l’Amérique, mais paradoxalement si essentielle; un aspect totalement évacué des productions américaines à saveur historique, même quand elles traitent de la guerre d’indépendance du pays.

The Book of Negroes (2015): cette méprisable race

Condamnée à souffrir

Lors d’une promenade dans la jungle, Aminata est kidnappée par d’autres noirs qui n’éprouvent aucun scrupule à la livrer à des marchands (blancs) d’esclaves, en échange d’une rémunération. Elle et une centaine d’autres, après avoir été marqués au fer, sont embarqués de force dans un navire. N’eût été la présence de Chekura (Siya Xaba, plus tard interprété par Lyriq Bent) un autre esclave, peut-être n’aurait-elle pas survécu à la traversée. Mais dès qu’ils mettent les pieds à Charles Town en Caroline du Sud,  ils sont achetés par deux différents riches propriétaires de plantations. Aminata se retrouve chez Robertson Appleby (Greg Bryk) et lorsqu’elle est plus vieille, se fait violer à répétition par lui. Elle parvient tout de même à revoir Chekura, l’épouse en cachette et accouche neuf mois plus tard d’une petite fille. Furieux, Appleby rase la tête d’Aminata, vend son enfant et ensuite se débarrasse d’elle en la vendant à un riche juif, Solomon Lindo (Allan Hawco). Si ses conditions de vie s’améliorent considérablement, elle enquête sur la disparition de sa fille et découvre que c’est Lindo qui a servi d’intermédiaire pour cette vente honteuse. Elle continue néanmoins de travailler pour lui et ensemble, ils effectuent un voyage à New York alors que la guerre d’Indépendance commence : les Américains en ont assez d’être traités en esclave par les Anglais…

À plusieurs reprises dans The Book of Negroes, la protagoniste répète qu’elle est condamnée à survivre. Condamnée est le bon mot puisque toute sa vie, le destin ne cesse de s’acharner sur elle et surtout sur sa race, considérée comme bestiale. Pourtant ici, les vrais barbares, ce sont les blancs qui traitent leurs congénères comme des moins que rien. Chaque fois qu’Aminata trouve un peu de bonheur, on le lui enlève (son pays, sa liberté, son mari, sa fille, etc.) et en même temps, une partie de son âme. La mise en scène est particulièrement effective de ce côté. La fiction a coûté au bas mot 10 millions $ et on ne lésine pas sur la reconstitution historique. Le premier épisode est le plus bouleversant avec la rude traversée qui les attend. De les voir tassés comme des sardines dans une cale sans lumière, sans air, un minimum de nourriture et surtout de soins est on ne peu plus poignant, d’autant plus que si l’un d’eux trépasse, on le jette par-dessus bord et c’est tout. Si cette histoire nous touche tant, c’est qu’elle nous est méconnue, en particulier au Canada, à l’inverse de l’Holocauste par exemple, un autre genre largement exploité à l’écran. Pourtant, ce ne sont pas les émotions fortes ou les témoignages qui manquent et comment se fait-il que ces sujets ne soient pas davantage exploités?

The Book of Negroes (2015): cette méprisable race

Ellipse historique

Empire, Survivor’s Remorse, Scandal, How to Get Away with Murder, Sleepy Hollow : depuis un bon moment déjà, des acteurs noirs ont des rôles de premier plan dans de très populaires séries américaines. Pourtant, certains sujets tels l’esclavagisme ou la ségrégation raciale sont très peu abordés de front par ce peuple qui cherche à camoufler tant bien que mal un passé peu reluisant. La télévision est un puissant médium puisqu’il accompagne les gens dans leur quotidien et dans le cas d’une série, au moins une fois par semaine. Pourtant, une des seules à avoir abordé un sujet similaire date de… 1977 (Roots, ABC,  une saison, 12 épisodes). Autre exemple, dans Turn (AMC, 2014- ), on a droit à un feuilleton d’espionnage au temps de la guerre d’Indépendance, mais jamais on ne discute de la condition des noirs. Au moins avec The Book of Negroes, on joue carte sur table lorsque l’on entend Aminata et les siens en tourner en dérision le désir des Américains blancs de vouloir s’affranchir de leurs supposés oppresseurs : comme quoi les beaux principes ont leurs limites.

Est-ce que le passé est garant de l’avenir? On peut le craindre. Récemment, on apprenait que les réalisateurs Ridley Scott et David Zucker préparaient un pilote en vue de développer une série sur la Guerre de Sécession et qui : « devrait examiner les effets de la guerre civile durant six épisodes qui se dérouleront dans un hôpital occupé par les soldats de l’Union à Alexandria, Virginie. La série suivra à la fois une infirmière abolitionniste de Nouvelle-Angleterre et son collègue confédérés du Sud. » De plus, Amazon nous a récemment offert une nouvelle fournée de pilotes en vue de savoir lesquels recueilleront les votes du public. Parmi ceux-ci, notons Point of Honor dont le synopsis va comme suit :« En 1861 en Virginie la guerre de Sécession est sur le point de débuter quand John Rhodes, héritier d’une plantation et chef de sa famille décide de libérer ses esclaves tout en défendant sa famille contre les soldats du Nord. Une décision difficile qui ne va pas bien être acceptée par sa famille. » Sans vouloir juger avant d’avoir vu le produit final, ces séries ont beau se concentrer sur la question de l’esclavagisme, reste qu’on nous dessert des points de vue de blancs; les nordistes contre les sudistes et les noirs pourraient bien se retrouver relégués à l’arrière-plan alors qu’ils constituent l’enjeu central du conflit.

The Book of Negroes (2015): cette méprisable race

Dernière petite controverse

En 2008, il a fallu changer le titre du livre afin qu’il puisse être distribué aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande par Someone Knows my Name. C’est que le mot Negroes est tout simplement à proscrire du vocabulaire dans ces pays. L’auteur, dans une lettre ouverte s’en désolait puisque The Book of Negroes référait à un registre bien réel dans lequel on pouvait trouver le nom de tous les noirs s’étant rangé du côté des Anglais durant la guerre. Grâce à ce document, plus de 3 000 d’entre eux ont été conduits en Nouvelle-Écosse, au Canada où on leur a promis la liberté, qui s’avéra, il est vrai, très relative. Reste que le mot « nègre » n’a pas la même connotation au Canada, comme l’écrit l’auteur : « I think it’s partly because the word « Negro » resonates differently in Canada. If you use it in Toronto or Montreal, you are probably just indicating publicly that you are out of touch with how people speak these days. But if you use it in Brooklyn or Boston, you are asking to have your nose broken. » Comme quoi au lieu de regarder la vérité en face, il vaut mieux se taire et faire comme si elle n’existait pas.

The Book of Negroes a réuni 1,7 million de téléspectateurs pour son premier épisode, puis 1,4 et 1,3 pour les deux suivants : de très bons chiffres considérant le marché canadien, en plus de récolter de bonnes critiques. Heureusement, la série sera aussi diffusée sur les ondes de BET (Black Entertainement Television, qui a aussi contribué à son financement) aux États-Unis quelque part en février et son titre restera inchangé. Dommage par contre que ce soit sur une petite chaîne câblée s’adressant majoritairement à un public afro-américain : comme si cette histoire ne s’adressait qu’à eux, alors qu’elle est partie prenante de tout un continent, et même plus.


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