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Peter Grimes, dénonciation et exclusion en huis-clos

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Peter Grimes, dénonciation et exclusion en huis-clos

Peter Grimes, opéra contemporain du compositeur britannique Benjamin Britten, sur un livret de Montagu Slater d’après The Borough de George Crabbe, créé le 7 juin 1945, au Sadler’s Wells Theatre de Londres a été joué à partir du dimanche 18 janvier à l’Opéra de Nice. Mise en scène avec sobriété par Marc Adam, dirigé par Bruno Ferrandis, nous avons assisté à la troisième soirée. La dernière représentation aura lieu ce soir à 20h.

Peter Grimes (John Graham Hall) est pécheur à The Borough, petit village de pécheur à l’est de l’Angleterre. Il espère demander sa main à Ellen Orford (Fabienne Jost), la maîtresse d’école. Mais avant de se lancer, il veut prendre sa revanche sur la bourgeoisie locale qui le conspue parce qu’il vit à l’écart de la communauté. Pour ce faire, il espère réaliser une pêche miraculeuse qui le rendra riche. Un soir de tempête, son ambition mène son jeune apprenti à la mort. Hormis l’institutrice et son vieil ami Blastrode (Vincent Le Texier) tout le village l’accuse de meurtre, malgré un non-lieu rendu par le juge. La rumeur enfle peu à peu.

Peter Grimes, dénonciation et exclusion en huis-clos

Mrs Sedley (Sophie Fournier), Blastrode (Vincent Le Texier) et Tantine (Manuela Bress)

L’Opéra de Nice ne réussit jamais mieux ses mises en scènes que lorsque les moyens sont modestes. On se rappelle de la catastrophe de La chauve-souris, l’année dernière, avec ces décors criards et l’intervention fort peu opportune de Noëlle Perna (qui par ailleurs à quand même réussi à nous voler quelques rires dans Repas de famille). Ici, le décor de Roy Spahn est monolithique, utilisant des échafaudages qui, changeant de places au gré des scènes, grâce aux astucieux jeux de lumière d’Hervé Gary, deviennent tour à tour, l’escalier descendant dans le pub de Tantine (Manuela Bress), lieu de socialisation par excellence du village, la place devant le Temple, ou bien la maison du pécheur Grimes. Dans Peter Grimes, les interludes musicaux font le lien entre les différentes scènes. La mer tumultueuse et menaçante que Britten voulait illustrer est ici mise en scène par une vidéo projetée sur toile, où au gré du récit, Marc Adam a décidé d’immerger les faux-semblants de la communauté qui se cache derrière la bible ou les commérages du pub pour laisser libre cours à ses pulsions vengeresses. Le mutisme de l’apprenti de Grimes laisse planer le doute, si ce n’est sur les mauvais traitements qu’il subit, sur le sort de toute une génération d’orphelins londoniens. Britten rappelle la triste condition de ces enfants au sortir de la seconde guerre mondiale bien peu améliorée depuis les aventures d’Oliver Twist.

Peter Grimes, dénonciation et exclusion en huis-clos

Blastrode (Vincent Le Texier), Peter Grimes (John Graham Hall) et Bob Boles (Edward Mout)

En effet, tout semble désigné que pécheur, Peter Grimes, ne le serait pas que de métier, mais le serait également face à Dieu. Voilà, ce que murmure toutes les bonnes âmes de la ville. Une ville tranquille qui a trouvé un bouc-émissaire pour essuyer son ennui. C’est le cas de la vieille Mrs Sedley (Sophie Fournier), qui s’autodésigne, au crépuscule de sa vie, spécialiste en enquête policière, et ne cesse de déclarer à tout le monde qu’elle a des preuves de la culpabilité de Grimes. C’est également le cas du pasteur et de son contradicteur méthodiste, Bob Boles (Edward Mout) qui font dans la surenchère de bondieuserie en accusant le pécheur malchanceux de tout les mots du monde. La mort du gamin, c’est lui. La tempête, aussi. Cette altérité avait séduit Britten. Homosexuel dans l’Angleterre aux lois homophobes de l’après-guerre, il savait lui-même ce que cela signifiait. Rajoutons à cela que Britten et son ami le ténor Peter Pears furent objecteurs de conscience durant la guerre. Peter Grimes voudrait s’intégrer mais tout concorde à l’isoler un peu plus de la société le poussant peu à peu vers la folie. La foule sans nom, protégeant par son anonymat les dénonciateurs, incarnée par les Chœur de l’Opéra de Nice, enveloppe le récit d’une oppression délirante.Inadapté à notre société, n’arrivant plus à faire bonne figure, poussé dans ses retranchements, seul face à ses doutes et à ses remords,Grimes envisagera le suicide. Marginal jusqu’à sa fin tragique, Peter Grimes mourra malgré tout en homme libre, prenant la mer, seule capitaine à bord de son navire, alors même que sa vie lui échappe.

Peter Grimes, dénonciation et exclusion en huis-clos

Blastrode (Vincent Le Texier) et Ellen Orford (Fabienne Jost)

Opéra résolument moderne par ses problématiques d’exclusion et de marginalisations, tristement réaliste sur une réalité du travail des enfants qui, aujourd’hui encore, heurte nos consciences, Peter Grimes signa le renouveau de l’opéra anglais. Il est toujours aussi émouvant de nos jours. Ne ratez pas une occasion de pouvoir y assister.

Boeringer Rémy


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