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Graffiti (atelier d'écriture)

Publié le 26 janvier 2015 par Antigone

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J'ai gravé nos deux noms sur un arbre. J'ai appuyé très fort pour bien marquer le bois avec mon canif. Précise, je n'ai pas oublié l'accent sur la deuxième voyelle de mon prénom. Malgré ses défauts, ma signature me semble parfaite. Pourtant, le marquage est grossier, le trait enfantin, mais peu m'importe. L'acte achevé, j'ai enlevé délicatement les épluchures résiduelles, elles ont volé dans le matin. Avant, j'aurais pesté contre le geste, eu envie de gifler son auteur. Et maintenant c'est moi qui offense. Tout arrive. Mais jamais je n'avais été aussi amoureuse avant. C'est comme un message que j'envoie à l'univers, au tout divin, à qui voudra. Pour que tu m'aimes. Debout dans le froid, j'ai envoyé un baiser à l'image de nos deux noms réunis. Et puis, j'ai serré cet arbre dans mes bras, cet arbre qui portait soudain le poids de notre destin, je lui ai dit tout bas tout l'espoir que je mettais en lui, l'offrande derrière le sacrilège. Qu'il me pardonne et qu'il m'aide. 
Je fais ce trajet tous les jours pour aller travailler, je longe cette rangée de troncs qui portent sur eux les marques d'amoureux supposés. Je sais que la plupart des coeurs sont dessinés par des gamins blagueurs qui cherchent à provoquer le copain ou l'amie rougissante. Le mien, plus gros, semble de la même veine, il disparaît au milieu d'un flot de rires. J'aime assez l'idée, puisque nous aimons rire ensemble, et qu'avec toi je retrouve mon enfance. Je chaparde dans l'éclat de tes yeux tout ce qui me manque, la légèreté du garçon avec qui partageais mes jeux autrefois. Mon dieu comme tu lui ressembles. Plus bas, la rivière coule, et j'aimerais qu'elle m'emporte ailleurs, mais seulement si mon voeu s'efface ou que l'arbre est coupé. A être ainsi tailladé, il ne vivra plus très longtemps. Est-ce un mauvais présage que de confier ses pensées secrètes à un arbre déjà mort ? Ce chemin, ce passage entre mon appartement et le lieu où je te rencontre parfois, semble pourtant figé dans un temps, immuable, toujours silencieux et serein, comme s'il attendait que ma vie change ou que soudain une sirène retentisse. Hier, en gravant nos deux noms sur cet arbre, j'ai peut-être modifié quelque chose, transformé en toute conscience le paysage, bougé. En refermant mon canif dans un claquement sec, en souriant à notre mariage de bois, j'ai eu envie d'y croire.

Une photo (de Julien Ribot), une inspiration, et au final un texte ... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic ici]. Heureuse de retrouver l'écriture après une semaine d'abstinence.


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