Magazine Cinéma

Notes festivalières : « Premiers Plans », Angers 2015

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

27° Festival « Premiers Plans » d’Angers

Du 16 au 25 janvier 2015

L’année dernière, nous avions déjà écrit un article sur le festival « Premiers Plans » (ici), consacré aux premiers films européens, qui se tient à Angers à la fin du mois de janvier depuis bientôt trente ans. Cette année encore, nous y sommes retournés avec le même plaisir, et bien plus longtemps (cinq jours, contre seulement deux en 2014). Dix-huit séances plus tard, retour sur la programmation d’une édition qui a cette année mis à l’honneur, entre autres, Bertrand Blier et Dino Risi, et élu une série de films sur la belle thématique du secret.

En compétition

Le festival d’Angers, ce sont d’abord des films en compétition qui, pour certains, sortiront très prochainement en salles.

Courts-métrages

Amira, de Isabelle Mayor, 18 minutes (France / Suisse).

Une jeune fille musulmane qui se forme à la boucherie entreprend d »’évaluer » Benji, le garçon qui l’attire, en lui proposant d’égorger ensemble un agneau selon le rite musulman. Voilà un scénario pour le moins aberrant, tant il est invraisemblable voire – plus problématique encore – discutable sur le plan psychologique et idéologique. L’enjeu religieux de la démarche d’Amira n’est jamais discuté ni remis en question, alors que son projet est tout de même de  »tester » Benji parce qu’il n’est pas musulman ! Le scénario loupe la piste féministe, pourtant intéressante (être la seule femme en formation dans un milieu d’hommes ; ne pas avoir le droit, en tant que femme, de pratiquer le rituel) et n’est pas sauvé par sa mise en scène sans intérêt.

Beach Flags, de Sarah Saidan, 14 minutes (France).

En Iran, les femmes n’ont pas le droit de se montrer en maillot de bain. Du coup, elles n’ont pas non plus le droit de participer aux compétitions de natation. Seule l’épreuve de course aux drapeaux sur la plage leur est autorisée. A partir de sa propre expérience de nageuse frustrée, Sarah Saidan réalise un court film d’animation efficace qui évoque bien, malgré sa brièveté, le sort réservé aux femmes iraniennes, entre dissimulation permanente (sous un voile, derrière un mur) et mariage forcé. Le dessin rappelle celui de Marjane Satrapi – les couleurs en plus. Quoique un peu statique, il suffit à porter ce sujet apparemment anodin, mais qui pourtant sait résumer la condition de toute une population.

Think Big, Matthieu Z’Graggen, 28 minutes (France).

A leur arrivée sur scène pour présenter le film, le réalisateur et le producteur de Think Big nous ont arraché un sourire bien malgré eux. L’un est grand et l’autre plus petit, certes, mais ils sont incroyablement similaires : même coupe de cheveux, même barbe taillée, même chemise – bref, un look qu’on qualifierait volontiers de hipster. Le film projeté ensuite ressemblait du coup à ce qu’on en attendait. Témoignant d’une forte volonté de mise en scène, Think Big voudrait être absurde. De l’absurde, il y en a certes, mais ce ne sont que de petits détails de scénario : le  »délire » n’est que de surface tandis qu’une musique électro comme on en entend désormais partout accompagne le cheminement sans grand intérêt d’un jeune adulte fugueur. Trop soucieux de donner à voir sa connaissance de la mise en scène de cinéma, le réalisateur tombe dans une esthétique facile et passe-partout, sans nous avoir passionnés.

Belle Gueule, de Emma Benestan, 26 minutes (France).

A Palavas-les-Flots, en été, il y a ceux qui sont en vacances et profitent de la plage. Et puis il y a Sarah, 16 ans, qui vend des beignets. A la fête foraine, elle rencontre Baptiste, l’un de ces chanceux venus là pour les vacances… A partir d’une idée somme toute fort banale (un été, une fille rencontre un garçon), Emma Benestan réalise un film très réussi, doté d’une vraie pertinence sociale et psychologique, chose suffisamment rare pour être remarquée. Aidé de la très convaincante actrice, Belle Gueule parvient à évoquer en moins d’une demie-heure les affres de la jeunesse, les amours d’été, les gouffres sociaux et culturels. On en oublie presque la caméra un peu trop mobile (y compris sur les plans fixes, une mode agaçante).

Marc Jacobs, de Sam de Jong, 17 minutes (Pays-Bas).

Le petit Soufyane est surexcité : son père marocain, divorcé de sa mère hollandaise, va enfin l’emmener au Maroc, ce pays dont il a entendu tant de choses de la bouche de ses copains. Sans surprendre, ce court-métrage réussit plutôt bien à aborder un sujet qui pouvait vite tomber dans le déjà vu. En à peine plus d’un quart d’heure, le personnage passe du fantasme – le bled, ce pays merveilleux – à la dure réalité d’une situation familiale que le père a abandonnée. On apprécie surtout l’humilité d’une réalisation qui sait éviter l’effet facile : cette fois, pas de caméra branlante ni de musique extradiégétique. Aucune béquille donc, malgré quelques plans un peu trop illustratifs.

Long-métrages

Vincent n’a pas d’écailles, de Thomas Salvador, 78 minutes (France). Sortie : 18 février 2015.

Vincent a un pouvoir spécial : quand il est mouillé, il devient surpuissant. Malgré une idée somme toute originale dans le cinéma français, et dont on aurait pu attendre beaucoup, Thomas Salvador échoue à exploiter convenablement les capacités du personnage qu’il interprète lui-même, notamment à cause d’un manque crucial de choses à raconter. Visiblement trop content de montrer les  »prodiges » de Vincent, le cinéaste consacre un temps énorme à une mise en situation qui ne sert pas à grand chose, si ce n’est à faire tomber amoureux le personnage. Après cela, une erreur (un prétexte scénaristique) pousse Vincent à fuir. Longtemps. La deuxième moitié du film est donc consacrée à une course-poursuite interminable. On sourit quelquefois, mais jamais assez pour oublier le manque de contenu d’un film déséquilibré et sans rythme qui ne dure, pourtant, pas plus d’une heure vingt.

Sivas, de Kaan Müjdeci, 97 minutes (Turquie / Allemagne).

Le jeune Aslan vit dans un village d’Anatolie. A l’école, le maître annonce que les élèves joueront une représentation de Blanche-Neige et les sept nains, et choisit Osman, rival d’Aslan et fils du maire, pour jouer le rôle du prince aux côté de Blanche-Neige, jouée par la jolie Ayse dont Aslan est amoureux. Le film commence plutôt bien, promettant une variation sur l’enfance et ses rivalités, les écarts sociaux et les privilèges des puissants, et même, espère-t-on, une mise en abîme sentimentale grâce à la représentation de Blanche-Neige. Mais cette première idée de scénario alléchante, le cinéaste l’abandonne complètement pour se tourner vers… les combats de chiens. Aslan trouve un chien qui devient champion de Turquie. Exit Blanche-Neige et Ayse. Après une première demie-heure enthousiasmante, le récit dérive vers la répétition fatigante de combats toujours identiques, multipliant à la fois les longueurs ennuyantes et les raccourcis invraisemblables. Un gâchis.

Hope, de Boris Lojkine, 91 minutes (France). Sortie : 28 janvier 2015. Prix du public – Premiers Longs Métrages Français

Dans le désert marocain, des hommes candidats à l’émigration en Europe s’aperçoivent qu’il y a une femme parmi eux, Hope, originaire du Nigéria. Refusant les moqueries et les mauvais gestes des autres, Léonard, un Camerounais, lui vient en aide. Ils vont, à deux, essayer d’atteindre la « terre promise », et ce sera une terrible épreuve. Boris Lojkine, qui vient du documentaire, a longuement et rigoureusement étudié son sujet, avec empathie : il nous donne à voir et à entendre, avec retenue, la cruauté du voyage clandestin – caches pourries, exploitations sans fin, souci exclusif de l’argent, partout… L’homme est un loup pour l’homme (et encore plus pour la femme). Tourné sur les lieux décrits, avec des acteurs amateurs qui jouent souvent leur propre rôle, le film adopte en même temps qu’un point de vue « documenté » le rythme du film d’action, les regards et la lumière de la tragédie amoureuse. Sans aucune complaisance dans la violence, mais sans rien cacher de l’extrême rudesse du réel, il sait donner aux victimes une magnifique dignité, celle de l’humain. Une grande réussite, qui rappellera le très beau Rêves d’or, de Diego Quemada-Diez, et qui révoltera.

Hommages et rétrospectives

Hommage à Bertrand Blier

Comment pourrait-on définir le cinéma de Bertrand Blier ? Y a-t-il une formule propre à cet auteur ? Si cette recette existe, les ingrédients majeurs en sont : la non linéarité du récit, le surréalisme, l’absurde et la richesse du dialogue. C’est cette combinaison qui donne toute sa saveur à son œuvre.

Blier fils fait ses débuts à l’âge de 22 ans avec le documentaire Hitler, connais pas ! (1963) 5 ans  seulement avant mai 1968. Le film est un témoignage de onze jeunes dévoilant leur vie, leurs aspirations, leur désirs. Après cette réussite, il cherchera son identité visuelle en réalisant deux films (La grimace (1966) et Si j’étais un espion (1967)).

En 1974, il s’impose et marque le cinéma français avec son premier succès (Les Valseuses), film provocateur faisant l’apologie du sexe qui animera de nombreux débats parmi ses 6 millions de spectateurs. Il immortalise Gérard Depardieu et Patrick Dewaere dans leur duo de tocards en cavale, inconscients et libres, qu’il aura le plaisir de nous faire découvrir sous de nouveaux visages dans son deuxième succès (Préparez vos mouchoirs, 1978). Dans ce film l’idée est simple : un homme croise un inconnu à qui il offre sa femme.

Le film reçoit l’oscar du meilleur film étranger en 1979 permettant au réalisateur de porter un projet qu’il essaie de monter depuis longtemps (Buffet froid, 1979). Fable surréaliste au scénario délirant basé sur un couteau et une tour vide où un homme, l’assassin de sa femme et un policier se lient d’amitié. Bertrand Blier dirige Jean Carmet dans l’un de ses rôles les plus touchant ainsi  que son père à qui il offre un personnage qui lui convient à merveille : le bougon bourru effrayé par la musique de chambre.

En 1986 il signe une nouvelle réussite (Tenue de soirée). Il y retrouve Miou-Miou et nous fait découvrir un autre duo, Gérard Depardieu et Michel Blanc, sous un nouveau masque, sensible et touchant. Le film s’articule autour d’une homosexualité naissante.

Après ce film le cinéma de Bertrand Blier prend un nouveau tournant, la comédie passe au second plan pour laisser place à des personnages plus délicats, plus subtils, en quête d’amour, en introspection et moins en dérision. Il nous offre Trop belle pour toi (1989) dévoilant les charmes érotiques de Josiane Balasko mis en compétition avec la beauté plastique de Carole Bouquet, le tout sur un fond de Schubert bouleversant le personnage de Gérard Depardieu ainsi que le spectateur.

Puis il réalise Merci la vie (1990), son film préféré, avec pour la première fois dans son cinéma un duo de femmes portant son histoire décousue autour du virus du sida. Charlotte Gainsbourg et Anouk Grinberg sont resplendissantes dans ce melting-pot de genres et de tons de couleurs sublimées par le grand chef opérateur Philippe Rousselot.

En l’an 2000 il réinvente la comédie en  réalisant Les acteurs, un film sur les acteurs, mettant à contribution plus de trente acteurs et actrices du cinéma français jouant chacun leur propre rôle, à l’exception de Josiane Balasko jouant André Dussolier. C’est un florilège de scènes surréalistes, un Jean-Pierre Marielle au summum de son art ainsi qu’une scène touchante où Bertrand Blier converse au téléphone avec son père décédé.

Son dernier film (Le bruit des glaçons, 2009) renoue avec ses œuvres satiriques et décadentes passées. La plume est toujours au rendez-vous, et les dialogues se marient bien à l’univers des films de Dupontel. Jean Dujardin dialogue et tergiverse avec son cancer incarné par Albert Dupontel.

Le cinéma de Bertrand Blier est complexe, diversifié, a un univers propre qu’il a su réinventer durant ses cinquante ans de carrière. C’est l’œuvre d’un auteur à la plume d’or, d’un scénariste et aussi d’un réel metteur en scène. Sa direction d’acteurs est fine, les choix de ses cadres sont pensés et appuyés avec finesse. On remarque souvent des plans fixes resserrés, un travelling doux pour appuyer une idée. Sachant oser sans tenir compte du politiquement correct, avec un humour noir et satirique, Bertrand Blier a sa place parmi nos grands réalisateurs français.

Lors d’une conférence , il a confié « être en recherche de fond pour son nouveau projet qui serait dans la lignée des Valseuses mais puissance dix ». Espérons qu’il y parvienne ! A 75 ans, Bertrand Blier n’a pas fini de nous surprendre.

Hommage à Dino Risi

Genre prolifique des années 1950-60, genre le plus populaire aussi, la  »comédie à l’italienne » avait ses maîtres, et le plus grand fut sûrement Dino Risi. Une plongée dans la cinématographie du cinéaste nous rappelle que la comédie à l’italienne ne se résumait pas à une simple moquerie un peu caustique des moeurs de l’Italie du miracle économique. Risi fit bien plus que ça.

Dressant, en dix-neuf sketches écrits au restaurant entre copains, les portraits des  »monstres » d’une société déjà grignotée de toutes parts par les vices de la consommation (Les Monstres, 1963), Risi faisait rire jaune. Grand satiriste à l’humour grinçant et noir, il a signé des films où, du récit aux dialogues en passant aussi – fait plus rare – par la mise en scène, tout servait à déconstruire en les moquant la séduction machiste (Pauvres mais beaux, 1956), l’arrivisme (Le Veuf, 1959) ou encore l’égoïsme irresponsable (Le Fanfaron, 1962).

Et même si certains de ses films, plus légers, demeurent de véritables farces (Pain, amour, ainsi soit-il, 1955), force est de constater que le rire laisse souvent place à la consternation et à la tristesse : dans Le Signe de Vénus (1953), Cesira, femme indépendante et forte, rêve pourtant de mariage ; dans Le Veuf, le génial Alberto Sordi est pris à son propre piège macabre ; dans Le Fanfaron (Il Sorpasso en italien,  »le dépassement »), Vittorio Gassman cache sous ses airs de joyeux drille une solitude infinie et entraîne dans sa course au néant un Jean-Louis Trintignant timide et réservé ; et on ne compte plus, dans les sketches des Monstres, les issues amères.

Amertume : voilà peut-être le terme qui convient pour définir, au-delà du bonheur apparent, derrière le rire grinçant que lui inspiraient ses contemporains, le cinéma de Dino Risi. C’était un grand monsieur qui fit de grands films. Il convient de les revoir de toute urgence, tant manque aujourd’hui ce cinéma faisant la part belle aux acteurs (leur corps et leurs répliques) mais n’oubliant pas de faire rire aussi avec un mouvement de caméra ou la structure d’un cadre, un cinéma drôle mais acerbe, moqueur certes, mais aussi terriblement pertinent.

Le secret au cinéma

Beau sujet thématique cette année que ce « secret au cinéma », tant ce dernier pose aux films le double problème du récit et de la mise en scène : comment écrire un scénario où un secret doit être porté (ou non) à la connaissance du spectateur ? comment mettre en scène le secret sans le dévoiler ? Autant de questions passionnantes qu’illustrent les films de cette programmation variée où l’on a pu croiser De Palma (Blow Out, 1982), Haneke (Caché, 2005), Lumet (À bout de course, 1988), Fassbinder (Le Secret de Veronika Voss, 1982), Hitchcock (L’Ombre d’un doute, 1943 – il fallait choisir, mais on aurait presque pu programmer tout Hitchcock tant il est le maître du secret au cinéma)…

Par souci de concision, mettons l’accent sur quelques films rares que le festival a pu programmer, comme le Mister Arkadin d’Orson Welles (Confidential Report, 1955), nouvelle variation shakespearienne sur le pouvoir et la manipulation qui rappelle fortement, quinze ans après, le grand Citizen Kane. Soulignons également la beauté du film de Visconti Sandra (Vaghe stelle dell’Orsa, 1965). Réalisé juste après Le Guépard, Sandra s’éloigne de la fresque pour revenir à un cinéma plus intimiste dans lequel les fantasmes s’accumulent et où, comme toujours chez le grand cinéaste italien, « le passé décide du futur ». Claudia Cardinale y est à la fois sensuelle et fragile, magnifique en femme perdue entre un père disparu et un frère envahissant. Enfin, notons la programmation de Panique (1947) de Julien Duvivier, où, sous le charme désuet des expressions titi, sourde la hantise de la délation. Un film fort où Monsieur Hire (Michel Simon, formidable de force mêlée d’ingénuité) devient le bouc-émissaire d’une communauté pas aussi sympathique qu’elle en a l’air.

Pour conclure, remarquons que la programmation consacrée au secret a su s’ouvrir au cinéma d’animation en proposant le formidable Chicken Run (Peter Lord et Nick Park, 2000), l’une des meilleures productions des studios Aardman, les créateurs des inénarrables Wallace et Gromit.

Alice Letoulat, Mathieu Cayrou, Alain Letoulat

Le festival cette année, c’était aussi : Jiří Barta, Ruben Östlund, Alice Rohrwacher, le nouveau  »cinéma de genre » britannique.


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