« Au crépuscule d’une vie d’ascète escarlapien, toute entière consacrée
à soulager les souffrances des anciens du cours Simon, nominés pour les Sept d’Or, il avait découvert, après des nuits entières de veille au chevet des comateux du gratin, que ceux-ci ne
souffraient plus dès qu’ils étaient morts. Partant de ce principe simple, il conçut l’idée révolutionnaire de finir lui-même ses patients par infection intraveineuse de jus d’amanite
phalloïde. » (Pierre Desproges, "L’Almanach", février 1988).
On ne peut pas dire que le groupe écologiste à l’Assemblée
Nationale a fait dans la finesse dans ses travaux parlementaires. Alors que le gouvernement s’est engagé, depuis juin 2014, dans la voie d’un
consensus fort à propos de la fin de vie, basé sur le rapport Claeys-Leonetti remis le 12 décembre 2014, les députés sont en train de débattre, ce
jeudi 29 janvier 2015 à partir de 9 heures 15 et le mardi 3 février 2015, de la proposition de loi n°2435
« visant à assurer aux patents le respect de leur choix de fin de vie » déposée par la députée EELV Véronique Massonneau le 9 décembre 2014.
En clair, ce court texte, qui fait seulement sept articles et huit pages en tout, veut instituer très
imprudemment en France l’euthanasie et le suicide médicalement assisté. Au moins, contrairement à ses prédécesseurs pour ce genre de proposition, Véronique Massonneau n’a pas été dans l’habillage sémantique avec des expressions assez hypocrites de type "aide à mourir" etc.
En effet, elle évoque dans sa proposition clairement les deux expressions : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, infligeant une souffrance
physique ou psychique inapaisable ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions strictes prévues au présent code, d’une euthanasie ou d’un suicide médicalement
assisté. ». Et pour les questions d’assurance, une telle personne serait « réputée décédée de mort naturelle ».
Le texte a donc d’abord été débattu au sein de la Commission des affaires sociales dans la matinée du 21
janvier 2015, soit quelques heures seulement avant le débat sans vote sur la fin de vie voulu par le gouvernement (j’y reviendrai). Comme le gouvernement a décidé de soutenir la proposition Claeys-Leonetti qui sera débattue en principe au début
du mois de mars 2015, la commission a rejeté complètement le texte de Véronique Massonneau.
Néanmoins, il est resté à l’ordre du jour, puisque chaque groupe a le droit de discuter du texte qu’il a
choisi. Je propose de revenir sur le débat qui a eu lieu sur ce texte en commission.
Martine Pinville (PS) a ainsi été très claire dès le départ : « Compte tenu des travaux engagés et
du dépôt annoncé de la proposition de loi de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti dont nous pourrons débattre au mois de mars, le groupe socialiste ne votera pas pour celle qui nous est présentée ce
matin. ».
Jean Leonetti (UMP), l’expert parlementaire en la matière, a ensuite tenu à faire le point avec la situation que connaît Vincent Lambert : « Permettez-moi de souligner que l’affaire Vincent Lambert n’a rien à voir avec le droit à l’euthanasie ou au suicide médicalement assisté : dans
n’importe quel pays, quelqu’un qui n’a pas émis de directive pose un problème. Rappelons que la France est le seul pays à avoir inventé une procédure qui permet de mettre fin à ces prolongations
artificielles de la vie. Dans les autres pays, y compris dans ceux qui ont légalisé l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté, l’affaire Vincent Lambert ne se réglerait pas. (…) Sur les
30 000 à 50 000 arrêts de traitements de survie qui sont décidés chaque année en application de la procédure française, il pourra toujours y avoir un cas où la famille se déchire et qui
est soumis aux tribunaux. ».
Opposé à la proposition, Jean Leonetti a parlé de la « rupture
de digue » : « On part toujours d’un cadre extrêmement strict, et je ne remets pas en cause la sincérité de Véronique Massonneau quand
elle veut réserver ce droit [à l’euthanasie ou au suicide médicalement assisté] aux seuls adultes. Pour autant, on constate qu’en Belgique, l’autorisation d’euthanasie existe pour les malades
mentaux et les mineurs, et qu’en Suisse, 30% des suicides assistés concernent des personnes qui n’ont pas de maladies graves et incurables mais qui sont seulement âgées et lasses de vivre.
Lorsqu’on ouvre un droit de ce type, il est extrêmement difficile de le circonscrire. ».
Par ailleurs, Jean Leonetti a rappelé aussi une évidence : « Il est difficile pour une société de combattre le suicide tout en l’autorisant pour certaines personnes. (…) Il faut respecter la volonté de l’individu, mais
également protéger les personnes vulnérables. Lorsqu’une personne arrive à l’hôpital après une tentative de suicide, elle est réanimée. Toutes les sociétés essaient de lutter contre le suicide,
le considérant davantage comme le signe d’une souffrance que comme l’expression d’une liberté individuelle. Comme Robert Badinter, je pense que lorsque l’on touche à des droits fondamentaux tels
que le droit à la vie, on prend le risque de fragiliser les plus vulnérables. ».
Enfin, Jean Leonetti a voulu aussi reprendre correctement quelques résultats de sondages qui sont
généralement brandis un peu rapidement : « Majoritairement, les Français préfèrent mourir tout de suite plutôt qu’après un mois de souffrance.
En revanche, ils préfèrent des soins palliatifs qui atténuent la souffrance, quitte à ce qu’ils raccourcissent la vie, plutôt que la mort donnée. Attention aux réponses trop simples sur des
problèmes éminemment complexes et divers ! ».
Rémi Delatte (UMP) a souligné le manque de finesse de la proposition : « Plus que jamais, la
sagesse doit primer. Or, je vois beaucoup d’imprudences dans cette proposition de loi. ». Selon lui, les experts ont tous été opposés à cette proposition : « Aucun de ces rapports ne préconise l’euthanasie et le suicide médicalement assisté, dispositions qui ont conduit les pays qui les ont adoptées à constater un
accroissement des pratiques hors champ légal. » et en plus, la proposition est restée vague sur la responsabilité médicale : « Rien
n’est précisé. Il y a manifestement un renoncement à la dimension collégiale, qui est pourtant primordiale car elle constitue un rempart à d’éventuelles dérives. ».
Fernand Siré (UMP) a parlé, lui, de sa longue expérience de médecin généraliste : « Parfois,
un malade qui souffre me regarde comme si j’allais l’assassiner quand il voit la seringue de morphine que je m’apprête à lui administrer, à cause de cette légende sur l’injection du médecin qui
provoque la fin de vie. C’est un regard difficile à supporter. Le rôle du médecin est de soigner, pas de tuer. Tant qu’il s’agit de soigner les patients pour les empêcher de souffrir jusqu’au
bout, tous les médecins sont d’accord. Quand il s’agit d’arrêter la vie, c’est un autre problème. ».
De son côté, Bernard Perrut (UMP) est revenu aussi sur
l’interdit de la mort : « La responsabilité du politique est de privilégier avant tout une approche palliative qui valorise le malade. En
proposant de légaliser l’euthanasie et le suicide médicalement assisté, vous levez un interdit et ouvrez la voie à de plus en plus de transgressions. Il suffit d’observer l’escalade qu’ont connue
la Belgique et les Pays-Bas pour s’en convaincre. Souhaitant créer un droit à la fin de vie, vous vous aventurez sur une pente glissante menant à la reconnaissance d’un droit à la mort. Au lieu
de légaliser l’euthanasie, mieux vaudrait, au contraire, augmenter l’offre de soins palliatifs sur le territoire, et accompagner les mourants dans la dignité. Le médecin doit respecter le malade
et le législateur doit garantir l’interdit, fondateur de toute société, du droit à la mort. Ces limites sont inhérentes à notre humanité, humble et fragile au soir de la vie, mais jamais
dépouillée de sa dignité intrinsèque. ».
Jean-Pierre Barbier (UMP), pharmacien, s’est arrêté sur la seule expression du "suicide médicalement assisté" : « Selon moi, le suicide relève d’une décision individuelle, qu’il soit assisté ou pas. Il est vécu comme un constat d’échec, tant par la société que par les
familles concernées. Pourquoi en serait-il autrement lorsqu’il s’agit d’une personne en fin de vie ou requérant une assistance ? Le deuxième terme, "médicalement", me rappelle que le médecin
est là pour soigner, guérir et soulager, et non pas pour donner la mort. Quant au troisième terme, "assisté", c’est le plus important. L’euthanasie est aussi pratiquée (…) dans l’État d’Oregon,
mais le suicide n’y est pas assisté : la personne concernée doit se procurer elle-même le sédatif nécessaire. On s’est aperçu que, dans ces conditions, 50% des personnes n’allaient pas
jusqu’au bout de l’acte. L’assistance au suicide soulève donc la question du libre-arbitre, si la personne va jusqu’au bout, sera-ce par sa volonté ? ».
Gilles Lurton (UMP) a pris la défense des médecins : « Vous considérez la possibilité de mettre
un terme à sa vie comme un droit. J’estime, pour ma part, que le corps médical doit avoir le droit de refuser de mettre un terme à la vie. Car c’est lui qui, in fine, aura la responsabilité de
commettre l’acte ultime. Il ne faudrait pas qu’il devienne l’otage de son malade. ».
Bernadette Laclais (PS), l’ancienne maire de Chambéry qui avait voté contre le mariage gay, s’est voulue plus consensuelle et a résumé les deux enjeux : « D’un côté, il y a le droit de
l’individu de garder la maîtrise de son destin et de voir ses souhaits respectés au mieux. (…) De l’autre côté, il y a le devoir de la société de garantir la protection des plus vulnérables et de
prévenir les excès. Or, en la matière, la frontière entre certitude et questionnement se révèle souvent fort fragile. ».
Annie Le Houérou (PS), enfin, a repris la contradiction sur le suicide : « Comment juger du caractère insupportable d’une souffrance liée aux maladies psychiques ? Le suicide médialement assisté est une violence pour certains
d’entre nous, qui ne sont pas prêts à accepter cet accompagnement au passage à l’acte. La mortalité par suicide est un fléau, tout particulièrement en Bretagne (…). Alors, face à cette
surmortalité persistante, la région a fait de la lutte contre le suicide une priorité sanitaire, le texte de Véronique Massonneau a de quoi interroger. ».
En raison de l’opposition du groupe socialiste et aussi des groupes UMP et UDI, la proposition de loi de Véronique Massonneau aura donc d’autant moins
de chance d’aboutir que la plupart des députés préfèrent attendre le texte Claeys-Leonetti qui sera soutenu par le gouvernement et une grande partie de l’opposition dans un mois.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (29 janvier 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L'impossible destin.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de
dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
François Hollande.
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP
sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national
d’éthique.
Le CCNE
refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de
Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre
2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à
télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à
télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et
expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie :
les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter
Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à
Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/proposition-massonneau-euthanasie-162888