Si tout n'a pas péri avec mon innocence, d'Emmanuelle Bayamack-Tam

« Quand ma grand-mère tente de refermer les cuisses, la sage-femme l’en empêche et entreprend de bouchonner sans ménagement son périnée endolori. »

Tout le récit d’Emmanuelle Bayamack-Tam part de cette phrase. S’il faut en croire Kimberly, c’est non seulement le destin de sa mère et de sa famille qui se joue dans cette scène, mais aussi le sien, où le sexe prendra beaucoup de place. Elle n’est pas encore majeure à la fin du livre mais elle aura vécu beaucoup de turbulences et de drames, et aura choisi pour elle une vie finalement pas si différente de celle de sa famille : on ne se dissocie pas facilement de son enfance.

Il y a quelque temps, j’ai lu La merditude des choses et la famille de Kimberly m’a fait penser à celle racontée par Dimitri Verhulst, l’alcool en moins. On n’aimerait pas vivre dans cette fratrie, enfants dont la mère semble se désintéresser (enfin pas tout-à-fait) mais qui laisse les deux derniers dormir dans une sorte de cagibi, et se soucie comme d’une guigne de leurs soucis d’enfants. Kimberly (troisième née après deux filles et avant deux garçons) se révolte contre cet ordre des choses, découvre Baudelaire et fait la rencontre d’une vieille femme qui donnera à sa vie un autre tour.

Baudelaire est partout dans ce livre, « le seul Charles qui vaille », un livre dont la seconde moitié (qui ne confond pas « l’encre avec la vertu ») se vautre dans le sexe, au moment où la narratrice dit « remettre sa vie dans le bon sens ». Etait-il nécessaire de chercher dans la pornographie contemporaine les positions multiples qu’essaie Kimmy, tout en se récitant des poèmes du XIXe siècle ? Il faudra attendre la fin pour qu’une étreinte enfin soit heureuse et que soit jeté « à la poubelle le manuscrit odieux qui m’aurait fâchée avec toute ma tribu prophétique », comme elle l'écrit. La poubelle, est-ce à dire l’édition ?