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d'après Maupassant

Publié le 02 février 2015 par Dubruel

L’HOMME-FILLE

Nous entendons dire souvent :

Cet homme est charmant

Mais c’est une fille,

Une vraie fille.

Nous sommes tous des hommes-filles

C’est-à-dire fantasques, changeants,

Perfides innocemment,

Sans volonté, faibles comme des filles.

Le plus irritant

Des hommes-filles

Est le Parisien, assurément.

Il a en lui tous les défauts des filles.

La Chambre des Députés en est peuplée.

Nos Représentants sont des opportunistes,

Et des sophistes

Qu’on pourrait appeler

Aimables charmeurs.

Ils promettent mais avec des vœux trompeurs.

Ils serrent les mains sans façon

Mais c’est pour gagner une élection.

Ils disent : ’’Mon cher ami’’

D’un air gentil

À des gens qu’ils ne connaissent pas.

Ils rectifient leurs opinions sans compas.

Ils sont sûrs de leurs convictions

Mais peuvent en changer à toutes occasions.

Ils se laissent tromper même,

Comme ils trompent eux-mêmes.

Ils ne se souviennent plus le lendemain

De ce que la veille, ils affirmaient sereins.

Les journalistes sont très souvent des hommes-filles.

Tous devraient être un peu fille :

Il faut qu’ils se montrent dociles aux instructions

Du gouvernement,

Qu’ils accompagnent les nuances de l’opinion,

Se révélent souples, ondoyants,

Crédules, sceptiques,

Enthousiastes, ironiques,

Qu’ils persuadent sans jamais croire à rien.

Les Anglais tenaces et les lourds Allemands

Nous considèrent avec un étonnement

Mêlé de mépris. Ils nous disent futiles.

Ce n’est pas cela. Nous sommes des filles.

Voilà pourquoi

On nous aime malgré nos défauts,

Et pourquoi,

On revient à nous

Aussitôt

Malgré le mal qu’on a dit de nous.

L’homme-fille est un causeur charmant.

Il capte votre esprit

En un instant.

Son sourire ne semble adressé

Qu’à vous. Vous pensez

Qu’il ne parle qu’à votre intention

Tant sont aimables ses intonations.

On croit le connaître depuis vingt ans.

On lui prête volontiers de l’argent.

En fait, il vous a séduit comme une femme.

On se pâme !

Quand il admire quelque chose, il s’extasie.

Avec des expressions tellement choisies

Qu’il vous jette à l’âme ses convictions.

Victor Hugo a fait son admiration.

Il le traite aujourd’hui de bedole.

Il a adoré Rivarol.

Il l’abandonne pour Barbey. (1)

Quand il aime une oeuvre, il n’admet

Aucune restriction.

Il vous soufflèterait pour une protestation

Quand il se met à la mépriser,

Il vaut mieux ne pas le contrarier.

L’autre jour, j’écoutais parler deux filles :

-« Alors tu es fâchée avec Myrtille ? »

-« Je te crois, je l’ai giflée. »

-« Qu’est-ce qu’elle t’avait fait ? »

-« Elle avait dit à Pauline que je battais

La dèche treize mois sur douze.

Et Pauline l’a redit à Jean Gouze.

Tu comprends ? »

-« Tu habites avec lui, rue Ferrand ? »

-« Non. Nous avons habité ensemble

Il y a un an, rue du Temple.

Mais nous nous sommes fâchés.

Il m’accusait de lui avoir fauché

Son foulard. –« C’était faux, n’est-ce pas ? »

-« Oui, j’avais acheté

Le même. Alors, il m’a quittée.

Je l’ai revu il y a deux mois.

Il voulait revenir vivre avec moi,

Vu qu’il avait été viré par sa logeuse. »

…Je passe. La suite est vaseuse.

Le dimanche suivant,

J’allais en train à Médan.

Deux femmes sont montées

Dans mon compartiment.

Je les ai reconnues immédiatement.

Ce ne furent que projets,

Caresses,

Mamours partagés

Et tendresses.

-« Dis donc, Myrtille… »

-« Écoute, Myrtille… »

L’homme-fille a des amitiés similaires.

Il ne quittera jamais son vieux Gilbert

Lui seul a du bon sens,

De l’esprit, du talent.

Lui seul est quelqu’un dans Paris.

Avec Gilbert, ils dinent ensemble,

On les rencontre partout ensemble.

Ils vont ensemble dans les boites de nuit.

Trois mois plus tard, si on lui parle de Gilbert :

-« En voilà une crapule, un pervers.

J’ai appris à le connaître, allez !

Pas même honnête, et si mal élevé… »

Un mois après,

Ils logent tous deux rue du Marais ;

Mais un matin, on apprend

Qu’ils se sont battus, puis réconciliés,

Et, en pleurant, se sont embrassés,

Les relations avec les hommes-filles

Sont incertaines, fébriles.

Leurs humeurs sont à surprise.

Un jour, ils vous chérissent ;

Le lendemain, ils vous regardent à peine.

Parce qu’ils ont une nature de fille,

Un charme de fille,

Un tempérament de fille.

Leurs sentiments semblent ceux des filles.

Quelle étrange comédie

Aussi

Que les tendresses d’une fille

Envers un homme-fille.

Elle le griffe, il la bat.

Ils ne peuvent plus se supporter

Mais ne se quittent pas.

Ils se lancent des injures. Bah !,

Ils vont bientôt se tomber

L’un l’autre dans les bras.

L’homme-fille est imprudent,

Brave et lâche en même temps.

  1. Barbey d’Aurevilly, écrivain méprisant

le caractère bourgeois de son siècle.


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