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Dimitri Verhulst : Comment ma femme m'a rendu fou

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Comment ma femme m'a rendu fou de Dimitri Verhulst    3/5 (26-01-2015)

Comment ma femme m'a rendu fou (144 pages) est sorti le 22 janvier 2015 aux Editions Denoël (traductrice : Danielle Losman)

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L’histoire (éditeur) :

Par désespoir, pour asticoter son monde et surtout pour se venger de son épouse qu’il déteste, Désiré Cordier, petit bibliothécaire retraité de son état, décide de simuler la maladie d’Alzheimer. Bientôt il se prend au jeu et s’amuse des réactions désemparées de sa famille. Il découvre là une liberté qu’il n’a jamais connue et un moyen sûr de s’éloigner de son entourage, et surtout de sa femme qui l’a toujours régenté. Il décide alors de se plonger dans les joies de la démence, la sénilité et l’incontinence… et finit par être interné dans une institution… La maison de retraite lui réserve quelques surprises, comme les retrouvailles avec son amour de jeunesse et la rencontre avec des pensionnaires aussi déjantés que lui. À travers des portraits féroces et hilarants, Verhulst, qui a un don sans pareil pour rendre le comique tragique, et vice versa, nous livre sa vision douce-amère du mariage.

Mon avis :

« Je traverse le Styx et j’emporte : un tube de dentifrice (pour le fun)…

Bien que ce soir de façon tout à fait délibérée, c’est vraiment contre mon gré que, chaque nuit, je chie à nouveau dans mon lit. M’abaisser à cet acte dégradant est en vérité une conséquence la plus gênante du chemin plutôt dingue que j’ai décidé d’emprunter dans mes vieux jours. Mais j’éveillerais les soupçons de mes infirmières et infirmiers si je restais sec durant mon sommeil. Si je ne souhaite pas sortit de mon rôle de vieillard sénile, je n’ai d’autre choix que de salir de façon régulière mes langes. Car c’est bien de ça qu’il s’agit : un rôle. Je ne suis pas du tout aussi dément que je ne le fais croire à mon entourage. » Page 7

Et c’est parti pour une histoire loufoque, et pas si drôle que ça toutefois, celle d’un homme qui s’est construit un personnage et qui suit son scénario (celui de la démence sénile) à la perfection (ou presque), incluant des détails inconfortables mais indispensables Désiré Cordier ne peut plus reculer, parce que la cohabitation avec sa femme n’était plus possible et parce qu’il est impossible d’avouer la supercherie. Ce rôle qu’il s’évertue à jouer à la Lumière d’hiver, un home pour vieux tout ce qu’il y a de plus classique, il le doit à Monik. Il y a deux ans, lors d’une énième attaque verbale de celle-ci, Désiré a estimé que les limites étaient dépassées. Faut dire qu’elle n’en est pas à sa première pique, et même s’il est presque devenu insensible, l’invention de ce vieux sénile devient comme une petit vengeance et surtout le seul moyen de fuir.

Voilà donc deux ans, qu’il prépare minutieusement  sa transformation en malade atteint Alzheimer et son échappée de cette vie médiocre, pour arriver à la maison de retraite à être obliger de déféquer de temps en temps dans son lit (pour plus de crédibilité), à emmerder discrètement d’autres pensionnaires (qui le valent bien, comme ce vieux nazi) et retrouver son amour de jeunesse.

« Mais la putréfaction a son rythme, et trop de hâte me trahirait. » Page 49

« Le dernier petit brin de doute l’avait quittée. Elle savait que très bientôt elle n’aurait plus de mari sur qui aboyer, plus de mari à faire chier, et qu’elle allait bientôt dormir seul dans ce lit. Seule à la maison, seule à y mourir. » Page 52

Cette histoire tout d’abord absurde, se révèle tout de même triste je trouve. S’il échappe à son odieuse épouse, Désiré échappe aussi à sa vie. Ancien bibliothécaire, doux et raisonnable, cet homme de 74 ans,  nous fait part avec un certain cynisme de ses observations sur ces institutions (les aides-soignantes qui ont pris l’habitude de crier sans même que vous soyez sourd, l’arrêt de bus fictif qui évite que certains résidents ne se sauvent), et nous livre quelques anecdotes sur sa vie en compagnie de Monik de Petter.  « Son prénom rime avec « colique » et son nom de famille avec « emmerdeur ». Page 87

Dans l’ensemble,  Comment ma femme m’a rendu fou est un roman jubilatoire intéressant. L’auteur Dimitri Verhulst   critique évidement et de façon très réaliste les conditions de vie dégradantes des pensionnaires et tout le système des institutions gériatriques (personnel soignant, prix exorbitant et soins dispensés loin d’être à la hauteur, des proches qui abandonnent rapidement leur vieux dans ces mouroirs…..). Toutefois, le thème du remord est prépondérant dans ce texte doux amer : celui des choses qui ne sont jamais arrivées et des occasions manqués (l’amour de jeunesse qui refait surface presque 60 ans plus tard, une fille qui parle avec plus de facilité avec son père maintenant devenu sénile), ou au contraire concernant les actes passés ratés.

Composé de pas mal d’humour, d’une bonne dose de plaisanterie sardonique et d’ironie (j’ai adoré sa sortie en caravane et en fanfare pour aller s’installer à la maison de retraite), l’auteur arrive justement à contrebalancer avec des sujets sensibles et parfois lourds à digérer. En moins de 150 pages, il arrive à faire sourire et réfléchir sur le sens de la vie et l’estime de soi  (sans avoir besoin d’user d’exagération).

« Les cinq points qui reviennent le plus souvent dans ce que les mourants se reprochent sont, premièrement, d’avoir trop travaillé. Deuxièmement, qu’ils ont vécu selon les attentes des autres. Troisièmement, qu’ils sont négligé les contacts avec leurs amis. Quatrièmement, qu’ils se sont offert trop peu de bonheur. Et cinquièmement, qu’ils ont trop peu exprimé leurs sentiments… » Page 113

Un bref : un  petit roman tragi-comique divertissant  qui aurait sans aucun doute été beaucoup plus magistral avec une centaine de pages supplémentaires, mais qui se savoure tout de même bien agréablement.

« Je traverse le Styx et j’emporte : un tube d dentifrice (pour le fun), une citation égarée de Joseph Roth, le souvenir merveilleux d’un baiser profond que je n’ai jamais reçu,  des miettes de pain, une consolation meilleure que celle que je peux trouver dans une boule de Berlin, les Stances de Tante Hortense, le désir d’un tee-shirt avec écrit dessus LA VIE COMMENCE A 74 ANS, plus d’espoir que de certitudes que quelqu’un m’attente sur l’autre rive. Et rien de plus. » Page 117


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