En partenariat avec Fleuve Editions, une trentaine de membres de Babelio a eu la chance de rencontrer Sophie Loubière. Ancienne animatrice de radio, l’auteur, connue pour ses romans noirs, est venue à la rencontre des lecteurs pour présenter son nouveau livre, À la mesure de nos silences. À travers le regard d’un jeune homme kidnappé par son grand-père, ce roman revient sur un épisode dramatique méconnu de la Seconde guerre mondiale, « la révolte des Croates ».
© Steve Wells
Témoigner d’un événement historique
C’est l’une des nombreuses questions que se posait la plupart des lecteurs retenus pour s’entretenir avec Sophie Loubière lors d’une rencontre au sein des locaux de Fleuve Editions. Dans À la mesure de nos silences, celle-ci abandonne le roman policier pour témoigner d’un épisode tragique réel. Mais comment a-t-elle découvert ce drame de Villefranche-de-Rouergue, un épisode pourtant moins connu que celui d’Oradour-sur-Glane ? « Par mon mari », répond-t-elle. Passionné d’histoire, celui-ci a en effet trouvé trace dans ses recherches d’un régiment de soldats SS musulmans, composé essentiellement de Croates enrôlés de force. Il rêve alors de faire un film de cette histoire, mais le projet ne voit pas le jour. Sophie Loubière ayant trouvé ce sujet très fort, s’interroge à son tour sur la vie des Villefranchois : « Comment peut-on continuer à vivre après avoir assisté à ces événements ? » Pendant cinq ans, elle s’attelle alors à la création des personnages centraux du récit et recherche des témoignages d’enfants ayant connu le drame. Pour elle, en effet, il était primordial d’être fidèle à la réalité des faits, en confrontant le plus possible ses sources et en se rendant sur les lieux pour prendre des photographies, habitude qu’elle a de toute façon pour chacun de ses livres. À Villefranche-de-Rouergue, elle a été reçue par un responsable culturel local, malheureusement décédé avant la publication du roman, qui l’a accompagnée dans son travail pendant plus d’un an. Sur place, elle était évidemment émue : les habitants n’ont toujours pas oublié cet épisode douloureux de leur histoire et il y a régulièrement des commémorations, même si beaucoup parmi les jeunes ne sont pas forcément au courant de ces faits anciens. Signe que la littérature a son rôle à jouer dans la transmission aux plus jeunes, Sophie Loubière a eu la surprise de constater que les écoles utilisaient aujourd’hui son livre pour expliquer cette partie de l’Histoire aux enfants.
Les lecteurs sont également intéressés par son virage du roman noir au roman historique. Un virage qui n’en est pas tellement un pour elle qui confie se plaire dans tous les genres et dont les premiers livres n’appartenaient pas à la catégorie des romans policiers. Pour ce livre-ci, « c’est le sujet qui imposait autre chose qu’un roman noir ou un thriller ». Elle tenait à ce que ce roman soit transmis, qu’on puisse le donner à tous, le faire étudier aux élèves, sans restriction, alors que les romans noirs ciblent en général un public plus précis, amateur du genre.
© Steve Wells
Le processus créatif
La construction de l’intrigue et des personnages a également été au cœur des interrogations des membres de Babelio. Assez tôt dans l’écriture du livre, Sophie Loubière a su que son livre comporterait deux époques, une narration au passé et une au présent. S’il est en effet question de « La Révolte des Croates » pendant la Seconde Guerre mondiale, le roman traite également d’une quête initiatique entre un grand-père et son petit-fils. François, cet ancien grand reporter aujourd’hui fatigué qui se rend compte que son petit-fils est en train de rater son bac et peut-être sa vie, est des plus fascinants. S’il semble d’abord vouloir aider son petit-fils Antoine, « ses motivations se révèlent comme étant plus complexes. » Il l’entraîne dans un voyage initiatique en pensant que c’est à lui de donner et à son petit-fils de recevoir, alors que l’inverse, il s’en rend compte au fur et à mesure de leur périple, est vrai aussi. L’auteur a avoué qu’Antoine était inspiré d’un ami de sa fille, et que François tenait à la fois de ses grands-pères et d’hommes qu’elle a admirés lorsqu’elle travaillait à la radio. Sophie Loubière se sent très proche de ses personnages : « tout ce que pense François, je le pense. De tous mes personnages, c’est celui qui me ressemble le plus ». François comme Antoine ont été créés sur le long terme, en même temps que les recherches historiques. « J’avais tellement peur de ne pas être exacte sur l’aspect historique, qu’à côté, créer les personnages, c’était comme faire des crêpes après un plat très élaboré ! »
Un débat a alors lieu entre lecteurs concernant la fin du roman, qui apparaît à certains comme un happy end alors que pour Sophie Loubière et d’autres lecteurs présents, on ne peut pas tout à fait parler de fin heureuse lorsque l’un des personnages centraux meurt. Pour elle, il s’agit plutôt de la libération d’une vérité, et d’un apaisement : « Tous mes romans vont vers la lumière car je suis optimiste, je crois que tout ce qui ne nous abat pas nous rend plus fort. »
Concernant la forme du roman, l’auteur confie qu’elle avait d’abord écrit un projet de film, pour exaucer le souhait de son mari. Il a donc fallu tout changer lorsqu’elle a opté pour un roman, ce qui lui a pris environ une année, avant de consacrer une autre année à la prise de notes et à des recherches complémentaires puis de commencer à rédiger, trois ans au total après le début de ses recherches. Si Sophie Loubière peut écrire très vite une fois lancée, parfois près de cent pages rédigées en une semaine, elle a du mal à mener de front plusieurs projets et a donc dû repousser l’écriture de la suite de Black Coffee pour À la mesure de nos silences. Un choix de priorité d’autant plus difficile qu’elle a en tête les trois prochains romans et qu’elle écrit aussi, surprise, une série télévisée.
© Steve Wells
Le rapport aux critiques et aux médias
Les membres de Babelio étaient curieux de savoir si Sophie Loubière accordait de l’importance aux critiques, et notamment aux leurs. L’auteur a affirmé qu’elle recevait des alertes dès qu’une critique était publiée, mais qu’elle n’avait pas le temps de toutes les lire. Cependant, lorsqu’elle trouve une critique bien écrite et qu’elle constate qu’il y a eu un échange, une émotion partagée, elle la lit en entier. Lorsqu’un avis est trop négatif ou la blesse par une méconnaissance du travail de l’auteur, elle tente de ne pas trop réagir. Il lui arrive de commenter pour signaler une erreur d’interprétation. De manière générale, les critiques sont plutôt enthousiastes à son égard, notamment aux Etats-Unis où, à son grand amusement, l’expression « Loubière’s touch » a été inventée pour qualifier son style. Mais Sophie Loubière est une auteur ouverte aux conseils : après L’Enfant aux cailloux, elle a lu des critiques regrettant que l’intrigue mette longtemps à se mettre en place. Pour Black Coffee, elle en a tiré une conclusion : commencer son livre par une scène violente et mouvementée.
Elle se dit pourtant parfois choquée par « le culot des journalistes qui écrivent sur des livres qu’ils n’ont pas lus, qui se trompent dans les prénoms des personnages ou racontent la fin de l’histoire ». Une réflexion qu’elle peut d’autant mieux se permettre qu’elle a exercé comme journaliste à la radio pendant dix-sept ans. Un métier qu’elle a beaucoup aimé car il lui a permis de faire de belles rencontres, mais qu’elle ne regrette pas car il ne lui laissait pas le loisir d’écrire.
Les lectures et influences de Sophie Loubière
Lorsqu’on évoque ses influences et lectures fétiches, l’auteur est prolixe, citant à la fois des classiques comme la Comtesse de Ségur ou Ernest Hemingway et des contemporains : David Vann, Jean Echenoz, Sébastien Gendron… Enfant, sa mère lui a lu beaucoup de livres, mais souvent des histoires tristes : Le Lion de Joseph Kessel, mais aussi Marcel Aymé, Colette, Stendhal ou Marcel Proust… Lorsqu’elle écrit, Sophie Loubière confesse ne lire que de la poésie, « pour ne pas être trop influencée ». Une discussion s’engage alors sur les aspects psychologiques et philosophiques de ces romans. S’il est en effet beaucoup questions d’apparences trompeuses dans ses romans, c’est que Sophie Loubière est passionnée de philosophie et que l’allégorie de la caverne de Platon la passionne.
Suite à cet entretien, Sophie Loubière a pris le temps de discuter avec chaque lecteur durant la séance de dédicaces. Nous la remercions pour ce temps accordé aux membres de Babelio, ainsi que la maison Fleuve Editions pour son accueil et le photographe Steve Wells qui a immortalisé cette rencontre.
© Steve Wells
Découvrez les avis des lecteurs surÀ la mesure de nos silences de Sophie Loubière publié aux éditions Fleuve.