La voix du chanteur Steve White aka Steve Spacek aka Beat Spacek aurait pu servir à illustrer un énième album r’n’b/soul lambda, mais l’artiste a choisi la voie difficile : se réincarner le temps d’un LP chez Ninja Tune et proposer ceModern Streets à l’électronique très syncopée, tout entier porté par sa personnalité singulière. Comme une suite logique à ces deux décennies d’infusion soul, ce nouvel alias de l’hyperactif musicien/producteur britannique le voit explorer de nouveaux horizons beat uptempo en forme de terrains de jeux pour son appétit d’afro-futurisme plus ou moins affirmé dans tout ce qu’il touche.
En plein renouveau après une grosse moitié des 2000’s à chercher un nouveau souffle, le vénérable label britannique Ninja Tune semble avoir trouvé une nouvelle voie lui aussi : les espaces électro – beats – r’n’b modernes, synthétiques, où chaque composante, à géométrie variable, se voit exploitée par des artistes aux discours plus en phase avec leur époque. Exit la course contre le temps et les années de retard sur les tendances, Ninja Tune tente aujourd’hui de s’inscrire de nouveau dans cet environnement en mouvement après avoir relégué aux archives l’esprit de la glorieuse époque de la fin des 90’s, non sans en digérer l’héritage.
Un pari pour revenir proche de la hype du moment tout en n’hésitant pas à prendre quelques risques bien sentis. Plus ambivalent tout en restant résolument accessible, Modern Streets distille juste ce qu’il faut de liquide soul-pop dans la mixture électro/hip-hop brute et instinctive de Beat Spacek pour brasser au large tout en présentant une approche assez personnelle pour convaincre. Sonorités très synthétiques, peu de sophistication, la voix quasi robotique ou volontairement haut-perchée, tout est fait pour équilibrer avec application bizarreries et évidences. Modern Streets, à ce titre, n’est pas l’album des tentatives ultra-novatrices mais n’échoue pas à proposer un panorama futuristico-urbain, noir et séduisant, avec un pied solide sur un dancefloor mental immédiat, quasi 80’s dans les symboles évoqués.
Des boucles mécaniques très souvent décharnées, très peu d’arrangements et d’effets, Beat Spacek a choisi de faire parler l’instinctif, tout en donnant l’impression d’être dans la quasi-improvisation sur ses placements de voix. Un album direct et sans détour dans sa mise en son, qui prend par la main dès les premières secondes de I Wanna Know. Le véritable jeu se trouve entre les lignes de synthés et les breakbeats anguleux, dans ces interstices où la voix maîtrisée du chanteur est en réalité l’élément évolutif le plus complexe de l’ensemble.
Parfois flatteuse et enveloppante, souvent décalée, presque dérangeante et effrayante par ailleurs, Beat Spacek use et abuse de sa capacité à créer de nouveaux personnages par la seule modulation vocale, afin d’habiter le disque et lui donner une véritable âme. Inutile de préciser qu’elle reste l’élément le plus identifiable du disque, tant l’ensemble des productions pourrait sonner assez lambda et univoque sans elle. Plongée dans un bain d’écho, faiblement éclairée par un lampadaire jaune pisse au milieu d’une rue sordide, la voix de Beat Spacek semble être le seul élément amical à même de guider à travers les cinquante minutes de rythmiques sèches et d’élucubrations aux synthés.
A tel point que son absence n’est pas sans révéler le manque de profondeur du disque par endroits, véritable revers de la médaille de la simplicité et l’accessibilité recherchée par le musicien. L’équilibre est précaire, pour ne pas finir du côté de ceux qui n’entendront plus qu’une même formule qui tourne en rond sur l’ensemble du disque. Mais la versatilité du Britannique est la clé, ici, fort heureusement. Son passif de touche-à-tous-les-genres vient densifier l’approche et justifier de ne pas s’arrêter à quelques tubes faciles à fredonner tout seul ; poussant même jusqu’à quelques étranges essais hypnotiques (Stand Firm).
Ils sont peu nombreux à avoir réellement tenté d’intégrer l’esprit original de la soul music dans le XXIe siècle. S’il le fait en exploitant les codes les plus simples qui le composent, Beat Spacek parvient néanmoins à justifier d’un vrai progrès musical pour ne pas se perdre dans des fusions molles et hasardeuses. Modern Streets n’est pas un véritable acte de bravoure en tant que tel mais un espace de création suffisamment original pour trouver sa place en 2015, dans la masse de projets presque trop identiques entre eux, jusqu’à l’absurde. Beat Spacek évite cet écueil, grand bien lui fasse, et prouve qu’avec une véritable âme insufflée, tout n’est qu’une affaire de continuité tournée vers la modernité et la différence. Ce dont sa musique n’a jamais réellement manqué, in fine. En espérant que Ninja Tune conserve cet esprit sur les sorties à venir.