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scènes de démence

Publié le 10 février 2015 par Dubruel

d'après LE HORLA (1886 - 1ère version) de Maupassant

Le docteur Philippe Louis,

Un aliéniste éminent,

Dirige à Paris

Une maison de santé renommée.

Il invita récemment

Quatre praticiens pour examiner

Un de ses patients :

-" Voici le cas le plus inquiétant

Qui m'a été donné de rencontrer. "

Il le fit entrer.

Le malade était fort maigre

Comme sont maigres

Certains fous que ronge une pensée.

La pensée troublée

Dévore

La chair du corps

Plus que la phtisie.

Le patient s'assit et dit :

-" Je sais pourquoi on vous a réuni.

Les spécialistes m'ont cru fou longtemps,

Mais apprenez, aujourd'hui,

Que j'ai l'esprit

Aussi clairvoyant

Que vous. Mais je commence par les faits :

J'ai quarante-deux ans.

Avant d'être interné

J'habitais un manoir près de Rouen.

Mon personnel se composait d'une lingère,

D'un jardinier, d'un valet et d'une cuisinière.

Tous logeaient chez moi. Il y a un an, en mars,

Je fus pris de malaises bizarres.

Une sorte d'inquiétude fiévreuse

Me tenait en éveil la nuit

Et le moindre bruit

Provoquait en moi des trépidations nerveuses.

J'avais d'inexplicables accès de colère.

J'ai décidé de changer d'air

Mais un étrange fait

M'a amené à rester.

Un soir, après avoir bu un verre d'eau,

Je remarquai que le carafon,

Posé sur mon bureau

Était resté plein jusqu'au bouchon.

Pendant la nuit, j'ai voulu boire de nouveau :

Dans la carafe, il n'y avait plus une goutte d'eau.

La nuit suivante, je fermai ma porte à clef

Afin que personne ne puisse pénétrer.

Huit heures après,

Quand je me suis réveillé,

J'ai constaté qu' on avait bu toute l'eau.

Qui avait bu cette eau ?

Le lendemain soir, j'ai rusé.

Je plaçai,

À côté du carafon,

Une bouteille de vin rosé,

Une tasse remplie de lait,

Une tartelette aux pommes et des bonbons.

On n'avait touché ni au vin ni au gâteau.

Par contre on avait bu le lait et l'eau.

Les jours suivants,

Je laissai d'autres boissons,

Gâteaux et bonbons.

Jamais on ne mangea les nourritures solides.

On ne touchait seulement

Qu'aux liquides.

Je me servis alors d'une ruse nouvelle.

J'enveloppai les objets auxquels

On touchait dans des serviettes de lin blanc.

Puis au moment

De me mettre au lit,

J'ai frotté mes lèvres et mes mains

Avec un bouchon brûlé, noirci.

À mon réveil, le lendemain,

Les objets étaient demeurés immaculés

Bien qu'on ait bu l'eau et le lait.

Or, ma porte était verrouillée

Et les volets étaient restés fermés.

Le surnaturel, je n'y croyais pas.

Aujourd'hui, je n'y crois toujours pas.

Mais je suis certain qu'il existait

Un être invisible qui me hantait.

Il me quittait,

Et puis il revenait.

Quelques jours après,

J'ai retrouvé un verre brisé

Parmi ceux qui étaient rangés

Dans le vaisselier.

Mon valet accusa la cuisinière,

Qui accusa la lingère,

Qui accusa le jardinier.

Puis, des portes fermées à clef s'ouvraient

Ma fenêtre claquait.

Et on continuait à me voler du lait.

Un autre soir, les pages de mon livre

Se mirent toutes seules à tourner.

Ma lampe est tombée.

J'assure que je n'étais pas ivre ;

Fort surpris, j'attendis

Et compris qu'il était là, lui.

J'ai voulu le toucher, lui,

Mais il avait fui.

Cet Être, comment le nommer ?

L'Invisible ? Non, cela ne suffit pas.

Je l'ai baptisé le Horla.

Pourquoi ? Je ne sais.

Le Horla ne me quittait plus.

Il m'épiait,

Je le sentais tout près.

Je l'ai vu.

Parfois, j'allais me regarder dans la glace

En me plaçant bien en face.

Hé bien, je ne me voyais pas dedans !

Elle était vide. Je demeurais déconcerté

Et n'osais pas

Avancer la main, redoutant

Qu' il ne se trouvât

Entre le miroir et moi. Il m'a échappé.

Le lendemain, je me présentais ici.

Le docteur Louis,

Doutant de mes propos,

S'est déplacé aussitôt

Dans mon village et constata

Que trois de mes voisins,

Étaient atteints

Des mêmes symptômes que moi.

Docteur, est-ce vrai ? "

Le médecin répondit : -" C'est vrai. "

-" Vous leur avez demandé

De laisser de l'eau et du lait

Pour voir si ces liquides disparaitraient.

Le soir suivant, ils l'ont fait.

Ces liquides ont-ils disparu ? "

Le médecin répondit : -" Ils ont disparu. "

-" Donc, messieurs, un Être,

Un Être nouveau, vient de naître.

Et il va se multiplier.

Ah ! Vous souriez !

Il est invisible à nos yeux,

Mais, messieurs,

Nos yeux distinguent à peine

Ce qui est indispensable à notre vie.

Le trop petit

Leur échappe,

Le trop grand leur échappe,

Ce qui est trop loin, idem.

Ils ignorent les milliards de petits animaux

Qui vivent dans une goutte d'eau.

Ils ignorent le sol, les habitants

Et les plantes des astres voisins ;

Ils ne voient même pas ce qui est transparent.

Placez votre œil devant une glace sans tain,

Il ne la distinguera pas.

Apercevez-vous l'électricité, le vent

L'air ? Non. Alors quoi d'étonnant ?

Cet être que j'ai nommé le Horla

Existe, c'est évident.

Qui est-ce ? C'est celui que la terre attend

Après l'homme ! Il vient nous détrôner,

Nous asservir, nous dompter.

La peur de l'Invisible nous a toujours hantés.

Les légendes des gnomes et des fées,

C'était de lui qu'elles parlaient.

Aujourd'hui,

Quand vous pratiquez

L'hypnotisme,

La suggestion et le magnétisme

C'est sans doute lui qui agit. "


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