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[note de lecture] Anne-Marie Albiach, "Cinq le Chœur", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

 
AlbiaccL’œuvre d’Anne-Marie Albiach est entourée d’une aura un peu secrète, sinon mystérieuse, or donc, apprécions ce rassemblement de ses œuvres en un seul volume. On peut avancer l’idée d’une poésie blanche et froide, ce qu’elle est selon l’apparence, pourtant point impersonnelle, comme le laisseraient supposer les qualificatifs avancés, poésie qui peut sommairement se condenser en ces vers : « blême/littéralité de l’absence », s’ajoutant à « perdu/dans le dédale/d’une projection/avant l’abîme », une poésie de l’érotisme paginal, où les mots effleurent le blanc, et le vide, devant lesquels la poète les dépose : « la narration d’un érotisme/se précise inouïe » ; se précise inouïe par un jeu de distance et d’approche abstraite ; en cette poésie est en jeu l’espace érotisé entre les corps, au moyen d’un regard sur-voyant, attentif à ce qui se passe au-delà du concret des actes. Un Eros essentiellement cérébral, sans l’idée concrète du corps, qui est notion lointaine. Le semblant de froideur qui émane des poèmes n’est qu’apparence, ou illusion, elle dégage une fausse neutralité dont le lecteur peut supposer qu’elle prolonge une profonde blessure, indicible, seulement évocable, raison pour quoi poésie est « présent optique illusoire », mû par une « dynamique de l’obscur », où l’inquiétude se fait savoir sur le blanc mouvementé, où les mots se font peu mais résonnent fort, se déplacent, arrachés à leur néant d’avant la parole, comme arraché d’un liquide amniotique mental, car l’arrachement est violent, déchirure originelle. Tout cela est en rythme, insonore et visuel, infernalement mouvementé, déplacé de droite à gauche et de gauche à droite, évitant la béance du centre, tournant autour. 
 
L’idée de rassembler l’œuvre d’Anne-Marie Albiach en un fort volume (près de 600 pages) est excellente en soi car visualise l’épaisseur du peu, l’important et imposant réseau de sens que (ne) révèle (pas) cette poésie discrète, profondément discrète, sinon rare. Poésie difficile, mais intensive, qui ne jette les mots sur la page au hasard, qu’elle ne cherche pas à abolir, mais à concentrer tellement qu’il devient matière d’être ; « pure pulsion mentale déposée telle qu’articulée, telle qu’à jamais dépourvue de fards explicatifs ou d’ornements par volonté d’exactitude (Bernard Noël, in revue Critique n°735/736 - Les Intensifs, Poètes du XXIe siècle). Les mots sont des pensés à l’état brut, sans recherche de mise en ordre de la pensée, mais avec volonté, donc, d’exactitude de son état brut. Certes est que la poésie d’Anne-Marie Albiach entraîne dans l’obscur, fait tâtonner, hésiter, buter, n’est pas théoricienne mais structure l’espace entre ce qui émet et ce qui reçoit ; elle pense l’autre en son abstraction. 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
 
Anne-Marie Albiach, Cinq le Chœur (1966-2012), Flammarion, 2014, 592 p., 28€ 
 


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