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Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

Publié le 13 février 2015 par Chatquilouche @chatquilouche

Pour toi, Marie Sun

Cher Chat,

Mettons l’amour sur le billot, voulez-vous, puisqu’il est actuellement en tête de

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gondole. On nous l’assaisonne à la sauce Cupidon depuis des semaines et à nous faire mariner ainsi jusqu’au 14 février, on risque tous de se débiter en tranches de vie attendries.

Ne comptez pas sur moi pour vous proposer ce genre de bœuf mode réchauffé. L’amour ne doit-il pas être dégusté saignant quand on recherche l’effet bœuf ? Permettez donc que je vous offre avant l’heure mes bons et aloyaux services et en guise de contre-valentinades, taillons dès à présent une petite bavette sur l’amour vache.

À cette fin et sans pour autant que cela ne dégénère en boucherie, je vous invite à goûter les histoires d’amour crues, hachées menu et épicées d’une bonne amie à moi, confrontée récemment au célibat sur le tard tard.

À table !

La belle fête donc ses noces de satin, abonnée à l’auberge du tournedos depuis des lustres dans ses draps de coton conjugal quand le sot-l’y-laisse. En tombant sur cet os, celle qu’on vient de prendre pour une dinde commence par crier haut et fort que tous les hommes sont des cochons. Après avoir bien ruminé tous les travers du porc en question qui est parti pour un filet plus mignon, elle se retrouve seule, sexualité et amour en berne, l’estime de soi sérieusement émincée, et pourtant, la poitrine, l’échine, le gigot toujours généreux et loin d’être avariés.

Mais voilà, une séparation, ça charcute l’amour-propre, et quand cela fait des années qu’on n’est plus dans la séduction, c’est difficile de penser qu’on peut plaire de nouveau. On se prend pour un boudin. À des lieux d’imaginer qu’on pourrait encore être traitée aux p’tits oignons.

La belle aurait pu donc décider de mettre définitivement la viande dans le torchon ou aurait pu virer viande saoule pour que ses inhibitions ne l’empêchent pas de se faire embrocher à l’occasion. Parce qu’après tout, un peu de sexe, ça peut donner l’illusion de l’amour.

Elle aurait pu. Mais la belle a des amies, compagnes toujours attentionnées de la vie. Elles l’ont inscrite sur Meetic, un réseau de rencontres virtuel. Avec l’espoir que sous l’œil bovin de millions d’abonnés, elle réveille enfin la vache folle qui sommeillait en elle et que cesse par la même occasion cette période de vaches maigres. Dans l’impossibilité de se faux-filer, la belle s’est donc choisi un pseudo, une photo de vache qui rit et, miracle de l’informatique moderne, après avoir rempli un long questionnaire, on lui a proposé plusieurs hommes de sa vie. Un vrai bouillon de bœufs !

Se pose alors la question de savoir si c’est du lard ou du cochon et l’art de sélectionner la bête tient vraiment de la boucherie héroïque ! Elle élimine rapidement ceux qui exhibent chipolatas, andouilles, merguez (c’est selon) dès le premier échange, tout en prenant soin d’envoyer ces chapelets de saucisses à ses copines en guise d’amuse-gueules. Ça les fait d’ailleurs beaucoup rire. Puis, de texto en sexto, la belle se laisse conter fleurette jusqu’à ce qu’un premier taureau lui propose de le prendre par les cornes. Il n’est pas encore question de se laisser brouter la luzerne, mais le cœur y est. Elle accepte alors une conversation téléphonique. La voix, l’élocution sont également un précieux critère d’évaluation. Sachez qu’à l’oreille, le Chat, on repère facilement la daube ! En effet, quand le fil de la conversation s’entrelarde d’erreurs syntaxiques coriaces et de matières grasses, la belle sait à quoi s’en tenir. Mais voilà, le taureau en question défend parfaitement son bifteck. Il semble courtois et se démarque par une subtile répartie.

Après quelques semaines de conversation galante, voire coquine, il convient de sauter le pas. L’homme est un prince charmant et la belle a 18 ans dans sa tête (c’est que l’amour virtuel laisse une grande place à l’imagination !), mais elle porte néanmoins une quarantaine bien mûre. C’est alors que la crainte d’appâter en croute resurgit. Les amies viennent alors à la rescousse pour aider à la préparation du premier rendez-vous. La belle doit être appétissante. Mais comment faire revenir la viande et la servir à point ? Faut-il se beurrer la face, quitte à estomper les rides d’expression ? La robe, pas trop sage ni trop pute, doit, sans en avoir l’air, se décolleter sur quelques tentations gustatives, car même si la belle n’est pas du genre à passer à la poêle le premier soir, elle se fait quand même des films cochons dans sa tête. Et puis, dans un tel contexte, peut-on ne pas se faire sauter sans se griller ? Outre le souci capillaire, faut-il alors envisager une épilation complète du maillot ou rester soi-même et oser l’origine du monde ?

Il est huit heures. Les amies notent bien le nom du restaurant. La rencontre se fait dans un endroit public au cas où l’homme mijoterait des plans extrêmes et s’adonnerait à de la cuisine trop exotique. Les amies, dans le bistrot d’à côté, sont d’ailleurs chargées d’appeler quinze minutes plus tard. Elles ont convenu d’un code verbal secret qui puisse les rassurer. Les carottes sont donc bien cuites. La première impression est positive. Derrière l’escalope à la salade, l’homme n’envisage pas qu’une escalade à la salope.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis cette première rencontre. Sans être une vache à lait, la belle a mis sa peau au feu quelques fois, et même si ces hommes seuls ont tous besoin qu’on s’étonne avant tout sur leur hotdog all dressed, elle a vécu une très belle histoire d’amour, goûté la cuisine halal, noué quelques solides amitiés et envoyé, inévitablement, quelques bouses à l’abattoir. En effet, la réception de certains prétendants sur le plancher des vaches ne vaut pas toujours le voyage virtuel. Il se peut qu’on ait à se farcir de la vieille semelle. Personne n’est à l’abri d’un menu mensonger. En fait, comme partout, certains jambons côtés à l’os pètent plus haut que leurs rognons.

Aujourd’hui, le droit au libertinage public ne choque plus personne. Je me souviens de mes escapades adolescentes clandestines sur le minitel rose. Les sites de rencontre me semblent avoir perdu ce côté sulfureux en passant de l’épicerie, même si elle n’était pas toujours fine, à la grande consommation. Avec une offre tellement généralisée, comment ne pas penser qu’il y a toujours mieux ? Comment ne pas céder à l’idée que le pis de la vache du voisin est toujours plus grand et devenir ainsi le dindon de cette grande farce ? Avec, entre chaque plat de viande fraiche, l’amertume d’une solitude qui faisanderait de plus en plus l’âme.

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Les relations sur internet se nouent à l’envers. On met la charrue avant les bœufs. Peut-on dire pour autant que les codes de séduction ont changé ? Livrer l’intimité de son âme avant celle de son corps rappelle les correspondances du 19e siècle où l’on tombait surtout en amour avec l’idée de l’amour.

Ha la vache ! C’est bien compliqué tout ça ! Mais si la belle a pu rencontrer l’amour sur Meetic, c’est certainement parce que là aussi, il peut se cuisiner avec un grand A. La leçon que nous pourrions en tirer, c’est qu’en aucun cas, il ne faut se contenter de regarder passer les trains. Les voies de l’amour finissent toujours par être pénétrables.

Je vous laisse mijoter le tout. Vive le ragoût !

Sophie

 Notice biographique

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Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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