"Macao et Cosmage ou l'expérience du bonheur"
Né en 1893, Édouard Léon Louis Legrand, plus connu sous le nom d’Edy Legrand (de son vrai nom Edouard-Léon-Louis Warschavsky) est un bordelais qui a débuté sa scolarité à Genève, puis étudié à l'École des Beaux-Arts de Paris et à l'Académie des Arts de Munich, au début du XXe siècle. Avant de devenir peintre, il peignait pour la publicité et illustrait des livres. Il commença à dessiner "Macao et Cosmage ou l'expérience du bonheur" alors qu’il avait à peine 18 ans. Lorsqu’il l’a publié, il résidait encore à Paris et rêvait de pays exotiques. La première guerre mondiale l’appela sous les drapeaux dans l’infanterie. Il s’en échappa en devenant aviateur. Plus tard, il a pu voyager ; Pays-Bas, Italie, Espagne, et a vécu quelques années à Rabat au Maroc où il se lie d’amitié avec Jacques Majorelle. Il a toujours déclaré sa passion pour la civilisation arabe. Sur cette époque, pour en savoir plus, je recommande en particulier le livre de Cécile Ritzenthaler "Edy Legrand, vision du Maroc" chez ACR Editions dans la collection "Les Orientalistes".
Cécile Ritzenthaler "Edy Legrand, vision du Maroc" ACR Editions - col. "Les Orientalistes".
S’il est connu comme peintre orientaliste, il ne faut surtout pas mésestimer ses talents d’illustrateur et c’est d’ailleurs dans ce domaine que je l’estime au point de lui consacrer cette notule. Il utilisait tantôt la gravure, parfois la lithographie et bien sûr le dessin. Je sais qu’il a été appelé par de grands magasins parisiens et des compagnies maritimes françaises afin de décorer certains grands paquebots transatlantiques. Je ne suis pas sûr que ces fresques aient été conservées.
"Macao et Cosmage" est en 1919, le premier livre pour enfants publié par la NRF. Cette histoire de deux amants qui vivent une vie idyllique sur une île isolée est un violent réquisitoire contre le colonialisme. Il a touché beaucoup de lecteurs, notamment l’écrivain britannique E. M. Forster, qui a parlé du livre en termes élogieux. Forster note que dans « le cœur de chaque homme il s’établit une île magique. » Tout comme Macao et Cosmage, qui ont dû affronter le monde moderne quand un navire « chasseur de boches » ont abordé leur île, Forster établit un parallèle avec les êtres humains qui doivent préserver leurs instants et visions de bonheur de la réalité destructrice irréfléchie du monde moderne. En outre, alors que les zoos humains sont en vogue en Occident, Macao est un homme blanc et Cosmage est une femme noire et tous deux forment un couple harmonieux. Les illustrations sont au pochoir, et c’est Jean Saudé[1] qui a colorisé l’album à la main. L’exploit de la réalisation et les dimensions exceptionnelles (31X33 cm) de l’album ont marqué un véritable jalon dans l’histoire des livres pour la jeunesse. Pour la première fois, l’image possède autant d’importance dans la narration que le texte merveilleusement calligraphié en lettres capitales, qui, plus tard, deviendront caractéristiques du style Art-déco. Pierre Bonnard le fait découvrir à Marie Steiner, directrice de la galerie new-yorkaise Knoedler, qui le fait ainsi découvrir au public américain. C’est ainsi qu’il peut prétendre à participer à la première exposition universelle d'œuvres gravées de l'Art Institute of Chicago en 1932 où il représente la France. Il est alors le seul à recevoir la mention honorable alors que ses œuvres côtoient celles de Picasso, Utrillo, Matisse, Leger et Derain.Il a illustré plus de 150 livres parmi lesquels en 1921 "Voyages Glorieuses Découvertes des Grands Navigateurs & Explorateurs Français" qu’édite à Paris Tolmer ; un autre livre magnifique.
En 1930, il réalise près de 200 merveilleuses gravures en taille-douce pour "Le cantique des cantiques" que publie N. Matzneff aux Editions Orion et tiré malheureusement qu’à 115 exemplaires numérotés. Il travaille également pour l’édition de "Pentatoli", "La divine comédie", "Les trois mousquetaires", les tragédies de Shakespeare, "L’évangile selon Saint-Jean". Paradoxalement, il n’existe pas, à ma connaissance, une édition française du "Travels in Arabia Deserta" de Charles Doughty qu’Edy Legrand avait illustré pour l’édition new-yorkaise de Limited Editions Club, en 1953 !Lorsqu’il rentrera en France, il s’installera dans le Luberon. Là, il deviendra ami d’Henri Bosco.
Edy Legrand et Henri Bosco
Il décéde à Bonnieux en 1970.
Pour terminer rappelons que "Macao et Cosmage" a été réédité en 2000 puis 2004 par l’éditeur Circonflexe dans la collection Aux couleurs du Temps