"Il en allait ainsi de la vie, parfois ; pendant des années, les choses se passaient d'une certaine manière, et puis, en un clin d'oeil, presque sans que personne en ait conscience, ce n'était plus le cas, comme si une valve s'ouvrait, relâchant toute la pression qui soudait les apparences."
Fière de sa culture irlandaise, mais marquée par une jeunesse difficile dans un appartement du Queens où sa mère noyait son mal-être dans l'alcool, et son père ses regrets dans une notoriété de bistrot, Eileen veut s'en sortir, et décide d'avoir pour ses parents, pour sa famille, de l'ambition. Après la seconde guerre mondiale, les filles ont peu d'opportunités de réussite. Alors, elle entame des études d'infirmière, grimpe vite les échelons, épouse Ed, un scientifique à l'intelligence rare et décide de monter une à une avec lui les marches de la réussite, quitte à le pousser un peu. Mais Ed résiste, malgré la naissance d'un garçon, et les désirs de son épouse de déménager vers un quartier plus prestigieux. Son seul souhait est d'être un professeur respecté, de pouvoir écouter le soir des morceaux de musique classique sous son casque, et d'apprécier un quotidien sans chaos. La vérité sur l'état d'Ed n'apparaîtra que tardivement, obligeant Eileen à revoir ses priorités, à s'armer de courage, et à découvrir la douceur.
Voici un très beau roman, un pavé de presque 800 pages dans lequel je me suis complètement fondue. Je n'avais pas lu depuis longtemps une si belle histoire d'amour, dans laquelle la maladie d'Alzheimer (puisqu'il faut la nommer) s'invite malheureusement, mais donne au récit une belle dimension, pleine d'humanité. Il est intéressant de suivre dans ce récit l'évolution d'Eileen, presque au jour le jour, de sa vie de petite fille, dure et décourageante, à sa vie de grand-mère, apaisée, en passant par une vie de femme, complexe et remplie de souhaits. La densité du livre, qui peut sembler un défaut, est aussi sa force, car nous assistons à chaque petite victoire du quotidien, à chaque désir parfois couvé dans l'oeuf ou réalisé, et à chaque déception. L'auteur, qui a semble-t-il écrit ce livre dans un petit deux-pièces alors qu'avec sa compagne ils élevaient des jumeaux a su brosser le portrait méticuleux, précis et bouleversant d'une vie, celle d'une femme américaine dans la deuxième moitié du vingtième siècle. D'écriture et d'apparence classique, Nous ne sommes pas nous-mêmes s'avère en fait passionnant à lire, prenant. Il m'a par de multiples petites phrases laissée songeuse... Il est sans conteste une aventure à tenter.
Un grand merci à Babélio pour la découverte ! - Editions Belfond - 23€ - 8 janvier 2015
Nous ne sommes pas nous-mêmes Matthew Thomas tous les livres sur Babelio.com