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Feu Chatterton "A l'aube" #BlogosFAIR

Publié le 17 février 2015 par Notsoblonde @BlogDeLaBlonde
Feu Chatterton

J'aime les textes superbement écrits de Feu! Chatterton, leurs arrangements délicats et puissants et la force de l'interprétation de leur charismatique chanteur.

Disons que si je devais résumer en trois points ce qui fait mon attachement à ce beau projet, ce seraient ces trois points là que je mettrais en avant.

Dans le cadre d'un partenariat avec le FAIR (l'opération BlogosFAIR) j'ai accepté avec plaisir de relayer l'actualité du groupe. Aussi, bien qu'ayant déjà parlé ici de Feu! Chatterton plusieurs fois, je me fais un plaisir de revenir par ici sur l'évolution de leur projet.

La semaine dernière, le groupe a sorti un nouveau clip. Un noir et blanc intemporel qui m'a fait penser aux images de Philippe Garrel. Il y a cette intensité dans les portraits, dans les regards et cette façon nerveuse de filmer les paysages aussi, qui me parlent. Intimement. Qui réveillent des souvenirs de vieux super 8 dont l'image tremble un peu, de souvenirs enfouis loin dans la mémoire mais qui n'attendent qu'une vidéo de ce genre pour remonter à la surface.

Cette chanson ce sont les grands départs, les séparations d'avec ceux qu'on aime. Parce qu'ils vont chercher loin de nous ce qui leur manque et qu'on sait que la joie qu'on éprouve à les voir se réaliser enfin s'estompera bien vite une fois que le manque ce sera installé, ces moments là sont toujours doux-amers.

Les textes de Feu! Chatterton sont si beaux qu'ils peuvent se suffire à eux-mêmes. La preuve avec le texte de ce titre "A l"aube". A parcourir sans modération :

À l'aube
Nous étions frères un jour et les choses ont changé, c’est vrai. Il est parti. Dix-huit mois à l’autre bout de la terre, éprouver son corps et sa tête dans les champs de bananes d’Océanie où l’on se lève à l’aube ; éprouver le reste sur les plages asiatiques, où l’on goûte au bonheur de synthèse et aux espaces infinis que les eaux couvent la nuit. Où l’on se lève à l’aube.
Et si nous avons pleuré ensemble ce jour de septembre où nous nous sommes quittés c’est qu’on savait que l’infinie tendresse, la mémoire et le téléphone mobile sont peu de choses contre la distance — que tout allait changer. Il est parti. C’est qu’il se lève à l’aube.
Faut bien s’arracher. D’abord il y a l’âge libre avant la vie domestique qu’on attend tous comme une sentence absurde et nécessaire. Et puis ces chimères à fuir, qu’on croit laisser aux portes des avions long-courriers. Enfin, la peur de s’engraisser ici, que le confort nous abêtisse. Il est parti. C’est qu’il se lève à l’aube.
Dans nos longues nuits blanches, qui s’en allaient mourir dans le cendrier, on a beaucoup rêvé et attendu que les choses adviennent, comme par enchantement. Des lendemains de ces soirs grisés il me souvient surtout l’odeur amère du tabac froid, la torpeur qu’engendrait le shit qu’on fume, l’impuissance et l’orgueil. Il faut choisir, la vie est ailleurs ! Voilà ce qu’on se disait.
Il est parti. C’est qu’il se lève à l’aube.
Avant son départ il était déjà moins bavard que lorsque je l’ai connu, huit ans plus tôt. C’est qu’il n’y a pas d’âge pour avoir de vieux démons. Les siens lui parlaient, je crois, de filiation et d’arbre généalogique. A celui-là aussi on coupe les branches qui font ombrage et les feuilles y meurent à l’automne. Alors j’ai compris ses silences et je les partageais. Je me suis aussi dit que j’étais sans doute moi-même moins fougueux, moins dispendieux qu’en notre prime adolescence. Lors on découvrait, comme tout le monde, le péril de toute véritable entreprise de séduction et la saveur des lèvres maladroites et conquises. On apprenait aussi par cœur les mystères âpres et charnus du con féminin qu’on touche d’abord avec les doigts. Et surtout — surtout ! — l’insolent et naïf sentiment de liberté, les poumons amples, quand on prend la route du voyage pour la première fois ! Il est parti.
C’est qu’il se lève à l’aube.


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