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[anthologie permanente] Juan Gelman

Par Florence Trocmé

Les éditions Gallimard ont publié récemment Vers le sud et autres poèmes, de Juan Gelman, dans la collection Poésie/Gallimard 
 
Note IV 
 
la crainte de la vieillesse vieillit-elle ?  
la crainte de la mort, nous meurt-elle ?  
qu’est-ce que je fais avec les mille moi 
de mes compagnons morts ?  
 
suis-je en train de m’emmourir ?  
peut-être que je les crains/tous aimés ?  
je peut-être te crains paco/visage 
comme une joie humaine ?  
 
ou peut-être que je les envie ?/ 
ou peut-être que je les envie ?/ 
ensemble comme nous le serions alors 
sans souffrance à soi à autrui ?  
 
mais pourquoi me pleurer en vous 
autres morceaux de ma vie ?  
peut-être que je peux enfin pleurer ?  
peut-être que je peux enfin pleurer ?  
 
./ 
 
Passages 
 
au-dessus de mes sourcils/et même 
au-dessus de mes yeux et de ma bouche/je comprends la situation parfaitement/ 
je plane comme le premier albatros/tirant le ciel sur le monde/ 
avec le soleil/la lune/les étoiles/les oiseaux des branches les plus hautes. 
 
et rien d’altère la douceur de mon cœur tout récent/ 
ni les ondes de la mer qui mirent fin à l’adolescence de cléanorides/ 
qui est mort pour la patrie à l’âge qui ne connaît pas encore la tendresse d’une femme/ 
ni les couilles de feu assises sur la gorge de sabastián qui parle de sa famille/ 
 
ni celui qui aujourd’hui s’est fusillé la mémoire en se jetant du huitième étage 
qui gît maintenant dans la rue et on lui a couvert le visage d’un secret commun/ 
ni stésichore non plus qui âgé se plaignait 
du vent du nord/rouge d’éclairs/qui selon lui remuait 
les désirs bouillonnants dans sa tête 
depuis qu’il avait vu les genoux de juana inés à l’âge de 5 ans/ 
mais maintenant 
donne-moi des mots pour jouer et dormir/avant que 
 
au-dessous de mes sourcils/ 
et même au-dessous de mes yeux et de ma bouche/je commence à ne comprendre plus rien de rien/ 
que mon cœur sorte en criant qu’il comprend qu’il ne comprend pas/ 
et que les changements et la furie des bêtes 
 
se mettent tranquillement à manger/ 
que ferions-nous alors de la discrétion des esprits/ 
de l’intelligence des langues/de l’air/des mots ?/que ferions-nous 
de Dieu lui-même/pauvre petit/assis sur les genoux de juana inés pour apaiser on éternité ?/ 
 
ces vers sont en train de tomber malades/La terre 
se souvient du passage de l’animal qui passe/ 
comme je me souviens de toi/femme qui passes par là/ 
dans ces vers que ne va plus lire ma jeunesse/ 
 
les compagnons sont morts les lèvres collées à l’univers/ 
ils ont entendu le chant de l’oiseau qui annonce les hauteurs 
et je suis triste de l’animal d’en bas/ 
qui ne dort pas/qui ne peut pas dormir/  
 
Juan Gelman, Vers le sud et autres poèmes, présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, postface de Julio Cortázar, Poésie/Gallimard, n°491, 2014, pp.37, 265 et 266.  
 
Juan Gelman dans Poezibao :  
bio-bibliographie, extrait 1,, un séminaire du PIAL avec Jacques Ancet, extrait 2, prix Cervantès, ext. 3, La mort de Juan Gelman


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