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Voie négative et voie affirmative

Publié le 18 février 2015 par Anargala
Voie négative et voie affirmativeom ah hung mahâ guru siddhi hung


Dans beaucoup de voie spirituelles, on trouve une pédagogie pour guider vers l'éveil au Réel, qui passe par des affirmations et des négations. En général, on commence par la voie affirmative : des métaphores du Réel comme la Vie, la Sagesse, l'Amour, l’Éternel, la Puissance... Puis on nierait tout cela, c'est la voie négative, à laquelle j'avais consacré plusieurs billets ces dernières années : , et là.Le Vedanta de Shankara, le Platonisme (et toutes les mystiques fondées sur lui), le bouddhisme guéloukpa/madhyamaka prâsangika et des traditionalistes comme Guénon adoptent cette démarche. D'abord on affirme, par métaphore, puis on nie, afin de laisser à nu le Réel.Mais il existe des voies où l'on suit un ordre inverse : d'abord des négations, puis des affirmations : voie négative comme purification, puis avoie affirmative comme indication directe du réel. Le tantrisme (et toutes les voies basées sur lui), ainsi que, semble-t-il, bon nombre de voies théosophiques (soufies, chiites, hermétique, alchimiques, ésotériques) adoptent cette pédagogie.La voie qui s'achève dans la voie négative est le non-dualisme par exclusion.La voie qui s'achève dans l'affirmation est le non-dualisme par inclusion.J'aime à parler de cette dernière approche, car elle est moins connue. En général, tout le monde croit que le "non" répété des Upanishads ou la doctrine de la vacuité par-delà être, non-être, ni "et", ni "ni, ni" du bouddhisme madhyamaka est le nec plus ultra, la seule voie de la non-dualité, la voie dite "apophatique". Mais il n'en est rien.Dans le Vedânta lui-même, ou plutôt LES vedântas, les upanishads, les approches sont variées et nuancées. On y trouve quelques affirmations de la transcendance du Réel, mais aussi et surtout beaucoup de métaphore ou d'évocations poétiques d'icelui. Dans les tantras, la chose est évidente.Dans le bouddhisme, les choses sont moins claires, car une propagande guéloukpa/théravâda a propagé l'idée (fausse) que la doctrine de Nâgârjuna - le madhyamaka - était la seule doctrine ultime du Bouddha. En réalité, le bouddhisme est beaucoup plus riche et propose bien d'autres approches, comme celle du Bouddha éternel, des tantras du Corps indestructible, du dzogchen et de la mahâmudrâ. En Inde et au Tibet, ces doctrines ont été admises (avec quelques controverses), puis étouffées, sous l'impulsion d'un moine (ce sont toujours des moines qui préfèrent la voie négative) nommé Tzongkhapa. Il créa une école qui affirmait que la voie négative est le fin mot du bouddhisme, et que les dizaines de textes (soutras et tantras, plus leurs commentaires) décrivant une voie affirmative, positive, n'étaient que des métaphores destinées à encourager les débutants que les négations auraient pu effrayer. Son école, l'école guélouk, a pris le pouvoir grâce aux hordes mongoles. Elle a détruit ou envahi les monastères des écoles qui proposaient une autre approche, et a fait détruire ou a empêché la propagation des livres de la voie affirmative. Récemment encore, des fanatiques de cette secte on poignardé à mort des gens qui, selon eux, avaient l'esprit trop large et qui corrompaient donc l'enseignement de la pure voie négative du madhyamaka, tel qu’interprété par Tzongkhapa. La terreur suscitée par les guélouks  est si grande, qu'aujourd'hui encore personne n'ose parler librement. Les textes prônant une autre approche, comme ceux de Dolpopa ou Gorampa, recommencent néanmoins à être diffusés et sont lus avidement. En Occident, la plupart des bouddhistes et des bouddhologues ont subit l'influence des guélouks et des théravâda, école bouddhiste de l'Asie du Sud (Sri Lanka, Birmanie...) qui essaie de se faire passer pour la plus ancienne et la plus fidèle aux enseignements du Bouddha.Les autres courants du bouddhisme enseignent que la voie négative est une préparation à la révélation du Réel - notre nature véritable - qui surgit de l'intérieur comme la reconnaissance d'une richesse présente depuis toujours mais qui était voilée par l'ignorance et les passions. Selon cette approche, la voie négative est plus rationnelle, mais elle reste toujours conceptuelle : elle abouti à une idée de tout ce que le réel n'est pas. Ensuite, la voie affirmative pointe le Réel même, mais plutôt de manière poétique, que de manière rationnelle.Mipham, un maître bouddhiste du début du XXe siècle, décrit cette nature non pas seulement en termes négatifs, mais aussi en termes positifs. Elle est "identique à l'espace indestructible qui embrasse tout". Elle n'est pas une perception impermanente. En cette "clarté lumineuse qui est l'auto-luminosité de l'inconditionné, tous les phénomènes du samsara et du nirvana sont inclus". Notre vraie nature est la toute-possibilité. Et "elle n'est pas simplement une non-entité", le résultat d'une simple négation. Car les choses et les non-choses résultent de causes et de conditions. Mais cette conscience éternelle ne résulte pas de causes et de conditions. Elle est au contraire la cause et la condition de possibilité de toutes choses. Elle n'est pas vide de substance. Au contraire, elle est la substance de tout, vide de tout défaut, de toute dépendance comme de toute condition. Voilà pourquoi le Soûtra du Nirvâna affirme qu'elle est le "Soi souverain" (aishvaryâtman). Elle transcende toute idée, alors que la vacuité négative, l'absence de substance dans les choses, est une idée, comme l'indique du reste sa construction en sanskrit : shûnya-tâ. Vacui-té. Notre vraie nature, ajoute Mipham est "la nature intrinsèque de la condition immuable". Elle ne change pas. Comme dit Maitreya, elle "est avant comme après, une réalité immuable". Le Soûtra du Nirvâna ajoute qu'elle est "le Soi qui ne se transforme pas (aviparinâmâtman)", le "Soi réel" (satyâtman).Elle est tout simplement notre conscience, "lumineuse et claire par elle-même". Elle est la "conscience qui existe par elle-même" (syavambhûjnâna) et qui ne résulte pas de causes ni de conditions. Elle n'est pas vide d'essence ou d'existence propre. Au contraire, elle est l'existence propre de toute chose. Alors que les choses changent, dit Mipham, ce Bouddha présent en chaque être depuis toujours ne change pas, "comme l'espace". Il est "la clarté lumineuse de l'immensité inconditionnée", sans illusion ni ignorance. Elle est "l'essence inconditionnée du Corps Absolu", "elle ne peut pas être une phénomène conditionné produit par des causes et des conditions". La voie négative ne concerne donc que l'irréel, les choses du monde, l'ego. Cette voie est aisée à parcourir : chacun peut comprendre que l'absolu ne peut pas changer, et que, les choses étant changeantes et relatives, elles ne sont pas l'absolu.Alors que la voie positive suggère le Réel, les phénomènes purs, le Soi. Ce Réel est difficile à comprendre au moyen de raisonnement. Mais facile à ressentir par le cœur, la foi, l'intuition et dans une relation vivante avec un enseignement. Comme dit Mipham", ce qu'il faut comprendre, c'est la lumière inconditionnée ; mais cet inconditionnée qui n'est qu'un vide (de nature propre) n'est d'aucune aide !"Tout a une cause.Le Bouddha n'a pas de cause.Tout est relatif.Le Bouddha est l'absolu.Et l'absolu enveloppe en lui les relatifs, sans les exclure, mais en les optimisant quand on le reconnaît.Et ainsi de suite. Ainsi, tout est inclut dans la reconnaissance de l'absolu ici et maintenant.Il est au-delà des extrêmes de l'être et du non-être :Nul ne peut voir la conscience : elle n'est pas quelque chose.Nul ne peut tomber dans le néant : le néant lui-même n'est rien sans conscience !Voilà ce qu'explique Mipham, notamment dans sa Trilogie de l'esprit en sa nudité, à la suite de tant d'autres sages, bouddhistes ou autres, qui nous invitent sans relâche au festin de l'éternel émerveillement.A


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