Le printemps resurgissait enfin et faisait fondre les grandes figures froides des montagnes gelées. À leurs pieds, il y avait la forêt du premier jour dans laquelle errait le Grand Cerf blanc.
Ce vieil esprit des bois, dont l’immense panache givré se fondait avec les branches nues des arbres, progressait dans l’immensité endormie. Et aussitôt passé, l’humus creusé par ses sabots nacrés se transformait en un sentier fécond. Comme il avait coutume de le faire depuis des millénaires, il traversa l’amont de la rivière gonflée par la gaieté des saisons hâtives et ses sabots s’enfoncèrent dans la terre spongieuse d’où suintaient les eaux des hauts monts glacés. Puis, il s’arrêta. Il lécha son museau pour rafraîchir les effluves de la saison qui naissait. Il brama sous les branches d’un chêne et son souffle chaud se sublima en une buée diaphane, qui s’éleva vers les rayons d’un soleil encore farouche. Le moment était venu. Mû par un irrépressible instinct, il pencha sa tête et du bout de ses longs bois majestueux, il toucha la surface d’un tumulus. À ce contact, une onde flamboyante déferla dans tous les lieux de la forêt, soufflant tout sur son passage. Les oiseaux et le vent dans les branches se turent.
L’esprit de la forêt releva la tête et recula quelque peu. Le monticule de terre trembla et se souleva lentement. Péniblement, une main s’agrippa aux ronces, tandis qu’une autre s’accrocha aux herbes naissantes pour s’extirper de l’endroit. Sous la terre humide apparut un visage et des animaux curieux s’attroupèrent près d’eux. Les épaules dégagées, la créature put enfin trouver une prise ferme pour s’extraire de la cavité boueuse. Le roi de la forêt s’inclina devant celle, qui avec peine, se tenait debout. Fragile, elle respira hâtivement l’air frais et poussa un hurlement si fort que la terre en trembla. La peur, le froid et la douleur d’être sortie d’un sein en lequel tout était si douillet la poussa à crier de nouveau. Et les larmes coulèrent de ses yeux verts aux reflets bleus. Celles-ci glissaient sur ses joues tâchées de terre et de rousseur, y creusant de blancs sillages. Abasourdie, elle regarda le ciel et la lumière du soleil l’éblouit. Elle tourna son regard vers le Cerf qui la contemplait. Renards et lièvres, loups et corbeaux avaient entendu la rumeur. Le vent du nord murmura son nom : « Essentia ! »
Le roi Cerf s’approcha et lécha ce visage ruisselant de larmes. Un duvet de plumes marron sur son dos voltigeait à la moindre brise. Se trouvaient sur sa tête deux cornes brunes torsadées et sa chevelure rousse humide encadrait un visage aux lèvres fines et vermeilles. Les animaux n’avaient pas coutume d’apercevoir un être aussi étrange. La nature s’éveilla promptement. Tandis que les bourgeons écloraient, les arbres explosèrent de vert. Les têtes des fougères se déroulèrent frénétiquement et étendirent leurs longues mains dont les paumes se tournèrent vers le ciel bleu. Les arbres au duveteux manteau de mousse entendaient les oiseaux qui chantaient de plus belle et l’eau de la rivière cavalait fervemment, contournant les noirs rochers aux dessins de spirales ancestrales.
Celui qui avait touché la terre de ses bois ensorcelés continua sa route et fit une halte à la rivière. Elle le suivit et plaqua son corps contre le sien si chaud. Il s’abreuva et elle hésita quelque peu avant de faire de même, buvant par la suite fiévreusement l’eau sacrée. Il l’invita à le suivre de nouveau. Elle s’agrippa à son cou et grimpa sur son dos. Le cervidé au pelage blême l’amena au pied de la montagne de l’aigle et s’arrêta devant l’entrée d’une caverne. Un autre comme elle les attendait. Celui-là était né avant que l’hiver n’endorme même les cœurs des rochers, pendant le long automne aux flancs saignants.
Lorsque ses yeux plongèrent dans les siens, Essentia sentit croître en elle une irrésistible envie de savoir. Le désir de connaître, d’apprendre, de partager et les petites plumes sur son dos poussèrent vivement et devinrent des ailes immenses qui se déployèrent. Celui qui l’observait lui tendit une main. Elle répondit à l’appel et au contact de sa main dans la sienne, l’étroit sentier dans le flanc de la montagne s’ouvrit devant eux. Le roi Cerf savait qu’au bout de cette voie, il y avait un sommet duquel ils s’envoleraient tous deux. D’autres saisons viendraient, et avec elles naîtraient d’autres comme elle.
Notice biographique
En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages. Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre. À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises. Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté. Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre. Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.