Magazine Cinéma

Vertige de l’amour

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

PUNCH DRUNK LOVE, de Paul Thomas Anderson, 2002

Barry, jeune chef d’entreprise dans les produits d’hygiène, la trentaine, célibataire, portant le même costume bleu roi que la veille, débute sa journée de travail. La musique très rythmée de Jon Brion l’accompagne du premier plan jusqu’au dernier et donne l’impulsion de cette journée riche en rebondissements. 

Alors que Barry vient de rentrer dans l’entrepôt et avant même de le saluer, le premier réflexe de son employé est de l’interroger sur la pile de puddings qui trône devant son bureau. Si ceux-ci constituent son plan le plus ingénieux pour voyager gratuitement en profitant d’une coquille dans une campagne marketing, sa découverte est constamment ridiculisée par cet enchevêtrement de puddings à 25 cents. 

Effaçant cette première vexation car bien décidé à maîtriser cette journée en réglant ses problèmes, Barry commence par réparer l’harmonium qu’il a récupéré deux jours auparavant et qui symbolise le début des bouleversements dans sa vie. Il s’assure ensuite que son compte bancaire n’a pas été piraté depuis son appel sur un téléphone rose la veille et la menace de la prostituée qu’il a reçue le matin même. 

© Columbia TriStar Films

© Columbia TriStar Films

Alors qu’il pense avoir réglé deux soucis qui le perturbaient, Barry est surpris par la visite de sa sœur Elizabeth avec une amie, Lena, qu’elle veut absolument lui présenter. Ayant grandi entouré de sept sœurs, Barry est constamment manipulé par elles qui veulent diriger sa vie (amoureuse du moins). Elizabeth prend alors rapidement le contrôle de la séquence en commençant par obliger Barry à se réfugier dans son bureau. Alors que les percussions de la musique extradiégétique montent crescendo, sa sœur accélère son rythme de parole, l’assaillant de questions et le ridiculisant comme un enfant : pourquoi ce costume ? Pourquoi ne manges-tu pas avec nous ? C’est quoi tout ce pudding ? 

Cette discussion à sens unique dont est témoin Lena (que Barry a déjà rencontrée par hasard deux jours avant et qui lui a fait grand effet) est à maintes reprises interrompue par les appels de la prostituée le menaçant et par son employé lui posant des questions pour le travail. Alors que Barry n’a pas pu placer un mot, une seconde discussion débute en privée avec Lena. Mais celle-ci est tout aussi perturbée : appels de la prostituée, bruits des ouvriers, accident de fenwick, retour rapide de sa sœur. Barry ne parvient pas à se concentrer sur sa discussion avec Lena. 

Ce stress palpable est à la fois exprimé aux spectateurs par cette musique détournant incessamment notre attention et par la frénésie de la caméra : nombreux plans, beaucoup de mouvements de caméra et de personnages, des recadrages, des balayages de l’espace… La plupart d’entre eux sont générés par les mouvements d’Elizabeth qui dirige la séquence et son frère. Alors qu’elle crée la rencontre entre Barry et Lena, elle ne cesse de le rabaisser devant elle : elle critique sa tenue, lui tourne autour dans son bureau (seul lieu où il est censé avoir le pouvoir), le questionne sur sa santé psychologique… 

Alors qu’Elizabeth et Lena s’éloignent, Barry rejoint ses employés pour réparer l’accident de fenwick (ou le passage de la tornade Elizabeth) mais Lena revient, libérée du poids d’Elizabeth. Alors qu’elle lui propose un rendez-vous, la musique se calme enfin (celle-ci battait son plein depuis dix minutes), Barry reprend le contrôle de la situation et nie toutes les remarques faites par sa sœur. Lena part, il retrouve son calme et sa solitude mais un dernier appel clôt la séquence : la déclaration de guerre de la prostituée. 

© Columbia TriStar Films

© Columbia TriStar Films

Cette séquence à cent à l’heure résume bien le film. Barry est prisonnier de son environnement qu’il ne parvient pas à contrôler. Même lorsqu’il est seul au restaurant avec Lena, la musique et les mouvements en arrière plan expriment constamment un tournoiement autour de lui. Que ce soit à l’anniversaire de sa sœur où il est le sujet de toutes les plaisanteries ou par le chantage dont il est la victime, Barry est ridiculisé et dépourvu de pouvoir en permanence. L’accumulation de pression le pousse à s’émanciper et à suivre Lena à Hawaï où elle se rend pour son travail.

Punch Drunk Love est le quatrième film de Paul Thomas Anderson. Au milieu du parcours actuel du réalisateur, ce film délimite deux phases dans sa filmographie.

Avant Punch Drunk Love : Hard Eight, Boogie Nights et Magnolia, trois films proches de la vie et de la personnalité de Paul Thomas Anderson, rappelant ses mentors de cinéma tels que les films choraux de Robert Altman, et l’excès californien, décor de son adolescence. Après Punch Drunk Love : There will be blood, The Master et prochainement Inherent Vice, trois adaptations littéraires et trois temporalités distinctes. Tous des succès critiques et publics. 

© Columbia TriStar Films

© Columbia TriStar Films

Punch Drunk Love est jusqu’alors son film le plus intimiste et certainement le plus doux ; loin des précédents sujets du réalisateur et scénariste, il raconte simplement le combat d’un homme, poussé par la force que lui procure son amour, pour vivre librement cette passion. Paul Thomas Anderson y allie alors l’histoire d’amour et la dérision, la timidité et l’exubérance, la légèreté et la précision. Il en sera récompensé par le prix de la mise en scène au festival de Cannes. Celui qui a fait son apprentissage en courant les salles obscures et en dévorant des VHS a depuis largement rejoint ses modèles sur la très belle liste des auteurs hollywoodiens ; une histoire d’amour du cinéma qu’il écrit soigneusement au fil de sa carrière et dont chaque page est une surprise et un émerveillement. 

Marianne Knecht


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