Je me rappelle le chapelet à la radio que nous récitions en famille. C’était l’heure plate de notre semaine, le dimanche, en remplacement de la messe. Certains d’entre vous ne savent peut-être pas ce qu’est un chapelet. D’abord le mot désigne l’objet qui sert, en égrenant des billes, à compter les « Je vous salue Marie ! » On en récitait cinq dizaines, entrecoupées du « Notre Père » et du « Je crois en Dieu ». Le chapelet désigne également la prière elle-même. Cette corvée imposée par notre père était vite expédiée et la diction tournait aux marmonnages. Même notre père n’y mettait pas une grande ferveur.
Il avait déjà fait du délire mystique. Dans le garage où je suis né, mais je n’étais pas là.
— Envoyez les petits gars, pissez dans le chaudron.
— Voyons, Alcide ! Pourquoi tu demandes ça ? T’es-tu encore allé voir la sorcière ?
— Questionne pas, ma femme. Mais je peux te le dire quand même : c’est pour chasser les mauvais esprits.
Une fois qu’ils avaient tous uriné dans le chaudron, sauf ma mère parce que l’urine de femelle ne convenait pas, mon père mit le chaudron sur le poêle à bois bien chaud. L’urine s’évapora et la puanteur se répandit dans toute la petite demeure. Quand ma mère voulut aérer la place, son mari l’en empêcha.
— Maintenant qu’ils sont sortis, il faut pas les laisser entrer.
Ma mère se demandait ce que son mari pouvait bien avoir en tête, sachant très bien qu’il était beaucoup plus fort qu’elle et qu’elle ne pouvait s’opposer à ses projets. Mon père revint avec des planches, des clous et un marteau.
— Es-tu viré fou, Alcide ?
Son regard haineux et agressif la repoussa d’un pas. Il cloua une première planche en travers de la porte, regarda son œuvre et la trouva insuffisante, en cloua une deuxième, un gros 2 X 4 (deux pouces par quatre pouces) de quatre pieds de long, avec des gros clous de six pouces qui entraient en trois coups. Il venait de bloquer la seule sortie. Cette fois-ci satisfait de son travail, il lança sur la porte ce qui restait de l’urine bouillie.
— Restez dehors ! dit-il d’une voix très forte. Il parlait aux esprits qu’il venait de chasser !
Et dire que j’ai manqué tout ça, alors que j’habitais chez mon parrain à Ste-Hélène…
Notice biographique :
L’auteur se présente ainsi :« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée. Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie. Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants. Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires. Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini. D’autres romans sont en chantier… »