Titre original : Birdman
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Alejandro González Iñárritu
Distribution : Michael Keaton, Edward Norton, Emma Stone, Zach Galifianakis, Andrea Riseborough, Naomi Watts, Amy Ryan, Lindsay Duncan…
Genre : Comédie/Drame
Date de sortie : 25 février 2015
Le Pitch :
Dans le temps, Riggan Thomson jouissait d’une gloire mondiale. Pour le grand public, il était Birdman, ce justicier ailé sorti des pages d’un comic book pour venir enflammer le box office. Aujourd’hui, l’acteur n’apparaît plus sur les écrans radars. Has-been, il décide de tenter un come-back spectaculaire au théâtre, en adaptant et en dirigeant lui-même une pièce, dont il tient également le premier rôle. Entre son désir de saisir au vol ce qu’il considère comme son ultime chance de revenir au premier plan, sa fille ex-toxico, son ex-femme, ou encore un acteur à l’égo démesuré, Riggan n’a pas le droit à l’erreur. Rien n’est gagné…
La Critique :
L’Oscar du Meilleur Film 2015 a tout d’abord affolé son monde via son concept. Imaginez un peu : un film sans coupes. Un long plan-séquence de presque 2 heures ! Affirmer qu’il s’agit là d’un pari burné n’est pas du tout exagéré, même si voir un cinéaste comme Alejandro González Iñárritu s’y coller s’avérait d’emblée rassurant. Surtout après les propos de son pote Alfonso Cuarón, qui ne tarissait pas d’éloges au sujet du nouveau projet de son compatriote. Car quand un mec capable d’emballer des films comme Les Fils de l’Homme ou Gravity s’extasie sur un truc, on se tait et on l’écoute. Au final, bien évidemment a-ton envie de dire, Birdman est une méchante claque. Iñárritu n’a pas usurpé ses 4 Oscars (Meilleur Film donc, mais aussi Meilleur Réalisateur, Meilleure Photographie et Meilleur Scénario Original).
Impossible de lire ou même d’écrire quelque chose à propos de Birdman sans faire référence à sa mise en scène, constituée en majeure partie (un bon 97%) d’un gigantesque et virtuose plan-séquence. À l’écran, loin de sonner comme la démonstration de force d’un cinéaste frondeur et assez talentueux pour donner du corps à ses projets les plus fous, le film justifie en permanence ce choix ô combien audacieux. Après tout, quand on y pense 2 secondes ; la vie n’est-elle pas constituée de plusieurs plans-séquences ? Les coupes intervenant quand on ferme les yeux le soir et quand on les ouvre le matin. Du coup, là est le premier effet Kiss Cool du choix d’Alejandro González Iñárritu : un réalisme exacerbé. Une super réalité. Un terme qui trouve d’ailleurs un vibrant écho à la fin du long-métrage… Une pertinence renforcée par le principal lieu de l’action, à savoir un théâtre. De la scène aux coulisses, Birdman ne sort que très rarement dans la rue et se pose donc presque comme la peinture d’un microcosme éphémère habité par des acteurs et des techniciens pris dans les tourments de la folie créatrice et rédemptrice d’un homme en mal de reconnaissance.
Avec toute la sensibilité et l’infinie pertinence qui caractérise son cinéma, le metteur en scène parvient à ne jamais tomber dans quelque chose de prétentieux, tout en faisant preuve d’une maestria rare. Birdman est, à l’instar de Gravity par exemple, une œuvre unique, en cela qu’elle manie des codes bien connus pour se les réapproprier complètement et les sublimer en plaçant l’humain au centre d’une équation complexe et dense, mais pour autant bel et bien universelle.
Immersif, cet incroyable long-métrage l’est assurément. La technique est au service des personnages. L’aspect théâtral, très à-propos, est bien là, mais sans donner l’impression d’assister à la représentation d’une pièce. La caméra est en permanence en mouvement et lorsqu’elle se pose quelques instants, les dialogues ou la musique du batteur virtuose Antonio Sanchez, prend le relais et renforce cet incroyable dynamisme qui caractérise si bien l’ensemble du projet.
Alejandro González Iñárritu trouve de suite un équilibre qu’il conserve tout du long, sans démériter et sans non plus se reposer sur ses lauriers, sachant qu’il est attendu au tournant, mais semblant s’en moquer pour mieux se focaliser sur l’essentiel.
Car Birdman fonce droit vers l’essentiel. On peut lire ici ou là qu’il s’agit d’une œuvre bavarde. Certes… Après tout on parle de théâtre et le théâtre repose avant tout sur des dialogues. Ici, ils sont virevoltants, drôles ou plus tragiques, mais jamais vains ou plombants. Merveille d’écriture, Birdman célèbre les mots et offre aux acteurs impliqués des partitions en or massif dont ils usent en donnant au spectateur le meilleur. Edward Norton par exemple, saisit l’occasion de livrer l’une des ses plus grands performances depuis très longtemps, tandis que Naomi Watts fait preuve d’une vulnérabilité merveilleusement dosée, à l’instar de la troublante Andrea Riseborough ou d’Emma Stone, toujours fantastique et ici complètement à fleur de peau. Zach Galifianakis pour sa part, en profite pour sortir enfin du schéma « Very Bad Trip » et gagne une épaisseur et une dimension comique qui risquent d’en surprendre plus d’un. Michael Keaton enfin, renaît littéralement.
Riggan Thomson, son personnage, apparaît davantage comme une déclinaison à peine maquillée du vrai Keaton. Celui qui, il y a longtemps, fut aux yeux du monde, le Batman de Tim Burton dans les deux films que le réalisateur a consacré au héros créé par Bob Kane. Depuis, Keaton a bien sûr tourné dans plusieurs films intéressants, dont certains sont carrément géniaux, mais force est de reconnaître que dernièrement, de premiers rôles dans des films anecdotiques en second rôles dans des grosses machines désincarnées, l’acteur est passé au second plan. Squattant les derniers wagons d’un convoi qu’il tractait avec une poignée d’autres têtes d’affiches jusqu’au début des années 90. Impossible de ne pas faire le rapprochement et c’est d’ailleurs précisément pour cela qu’Iñárritu a choisi Keaton et pas un autre.
D’emblée l’ex-Bruce Wayne saisit l’essence de son personnage. Lessivé, tour à tour pathétique et flamboyant, le comédien a compris et assimilé toute la complexité et toutes les facettes de Birdman, sachant par quoi est passé cet acteur en quête de rédemption. Au premier plan, bien que remarquablement entouré par des acteurs qui savent aussi le mettre en valeur, Michael Keaton retrouve toute sa superbe et porte le film sur ses épaules. Charismatique, drôle, émouvant, il est à proprement parler formidable et fait de plus preuve d’un courage admirable, en se mettant -au propre comme au figuré- à nu, certainement conscient de l’importance et de la signification d’un tel film. Conscient aussi qu’à Hollywood, les secondes chances sont rares et que lorsqu’elles se présentent, il ne faut pas les laisser se barrer. Là, Michael Keaton a saisi sa chance. Il est Birdman, il est grand, et rien que pour lui, ne serait-ce que pour assister à un numéro d’acteur exceptionnel, le film d’Iñárritu mérite largement le détour.
Finalement, le seul reproche qu’on puisse faire au dernier film d’Alejandro González Iñárritu est de parfois regarder un peu de haut un certain genre de cinéma. Celui des blockbusters et plus spécifiquement des super-héros. Revenu de ce milieu, conditionné pour n’exister qu’au travers du succès et de la gloire, au détriment de l’art avec un grand A, le protagoniste central de Birdman exprime un désir de revenir aux fondamentaux d’une discipline qui a connu de profondes mutations depuis l’avènement des effets-spéciaux à grande échelle. On comprend la réflexion de l’œuvre, mais difficile de ne pas tiquer quand ce dernier semble oublier qu’il est tout à fait possible, pour les acteurs comme pour les spectateurs, de jouer sur plusieurs tableaux, sans pour autant y sacrifier leur intégrité. On peut aimer Iron Man et Birdman. On peut adorer Avengers et Whiplash. En cela, Birdman peut sembler un peu unilatéral au niveau de la réflexion qu’il communique sur le métier de comédien ou sur le processus de création, mais il garde pour lui son intégrité et la puissance de son discours. Que l’ont adhère ou pas d’ailleurs.
Surtout qu’à côté de cela, Birdman en profite aussi pour interroger -brillamment pour le coup- le concept de la célébrité au 21ème siècle, à l’ère de Twitter et de Facebook, sans se départir d’un patine savoureusement vintage.
Tel est le dernier film d’Alejandro González Iñárritu : paradoxal, franc du collier, jubilatoire, virtuose, lyrique, et sauvage. Grand film de comédiens, mise en abîme vertigineuse, monstre de mise en scène parfaitement maîtrisé, il parle de cinéma avec fougue et passion. Il parle d’un homme exposé aux quatre vents d’une époque folle, qui a la fâcheuse tendance à laisser sur le bas côté ceux qui ne suivent pas ou qui refusent de le faire. Grand film. Très grand film !
@ Gilles Rolland
Crédits photos : 20th Century Fox France