Puisant aux sources de la mythologie antique, avec en miroir la situation de l'Europe en 1937. Jean Giraudoux donne au personnage d'Electre une force dramatique incomparable. Pour venger le meurtre de son père Agamemnon, Electre arme le bras de son frère Oreste et va préférer le saccage de sa ville au sursis réclamé par Egisthe. Entre l'ordre et la justice, elle choisira la justice. Sur les cendres d'Argos, le jour se lève : " Cela s'appelle l'aurore ", dit le mendiant, prophète sublime et dérisoire.
Agamemnon est de la famille des Atrides. Marié à Clytemnestre, il a quatre enfants avec elle : Iphigénie, Oreste, Électre et Chrysothémis. Meneur de l'expédition contre Troie, il part à la guerre et laisse Argos dans les mains de son cousin Egisthe. Celui-ci ne tarde pas à séduire Clytemnestre. Ensemble, ils tuent Agamemnon lorsque celui-ci revient de Troie.Des enfants d'Agamemnon et de Clytemnestre, seules Électre et Chrysothémis restent à Argos ; Iphigénie et Oreste ont fui. Seulement lorsqu'Oreste revient, une fois adulte, Électre lui demande de venger la mort de son père et de tuer son assassin...
Giraudoux se concentre ici sur le personnage d'Électre, qui a la particularité de ne pas savoir qui est le meurtrier de son père. Lorsqu'Oreste revient, c'est une femme fanée et morne, le retour de son frère est une sorte de délivrance pour elle, une renaissance. Cette pièce a alors des faux airs de roman policier puisque qu'Électre et son frère soupçonnent et menacent leur entourage pendant le début de la pièce, avant de démasquer le(s) coupable(s).
Malgré ces faux airs de roman policier, il s'agit cependant d'une tragédie classique dans la mesure où elle respecte un de ses codes : celui de l'ironie tragique. Ici, le lecteur sait qui est le coupable, seuls Électre et Oreste ne le savent pas !
De nombreux passages de cette pièce m'ont troublée, émue et impressionnée. Le lamento du jardinier en est un premier exemple. Au milieu de la pièce, en lieu et place de l'entracte, Giraudoux nous propose en effet le lamento du jardinier, un monologue pendant lequel ce dernier va nous proposer son regard sur l'histoire et quelques réflexions sur la Tragédie (que j'ai adorées !).
« Moi, je ne suis plus dans le jeu. C'est pour cela que je suis libre de venir vous dire ce que la pièce ne pourra vous dire. Dans de pareilles histoires, ils ne vont pas s'interrompre de se tuer et de se mordre pour venir vous raconter que la vie n'a qu'un but, aimer. Ce serait même disgracieux de voir le parricide s'arrêter, e poignard levé, et vous faire l'éloge de l'amour. Cela paraîtrait artificiel. »La fin de la pièce est enfin un deuxième passage que j'ai adoré : lorsque Le Mendiant raconte ce qui arrive à Oreste, Egisthe et Clytemnestre alors qu'ils ne se trouvent pas au même endroit. Comme un devin, Le Mendiant raconte ce qu'il se passe au moment présent sans le voir, et anticipe même si ce qu'il va se passer. Cela donne une tirade incroyable dans laquelle les temps se mélangent, de même que le sublime et la violence.
Les personnages sont ceux de la tragédie grecque : ambivalents et troublants. Ils trouvent de la noblesse dans leurs actions les plus basses et nous inspirent des sentiments très contradictoires. J'ai souvent tendance à arrêter très vite mes impressions sur les personnages, à savoir immédiatement du côté de qui je suis et qui je déteste, mais une des raisons pour lesquelles j'aime les tragédies grecques est que je suis toujours beaucoup moins sûre de moi en refermant le livre. Et si elle n'était pas si cruelle que ça ? Et s'il n'était pas un simple arriviste meurtrier ? Et si elle n'était pas si blanche ? Ce sont plein de questions que je me pose après coup et qui me hantent encore longtemps après la lecture.
Prenons par exemple Clytemnestre et Egisthe. Dès le début, j'ai vu Clytemnestre comme une femme hypocrite et malveillante et Egisthe comme un opportuniste sans cœur, un peu comme Créon (dans Antigone) mais en pire. Avec du recul, Clytemnestre peut aussi être vue comme une vraie femme : épouse, amante, mère,... et Électre n'est peut-être pas la justicière aussi pure et innocente qu'elle n'y paraît : c'est peut-être une égoïste qui fait passer son propre intérêt avant le bien commun. Egisthe enfin fait partie des personnages les plus ambigus de la pièce. J'ai adoré découvrir ses sentiments ambigus envers Clytemnestre et Électre, ses ambitions, ses peurs, ses faiblesses... C'est sûrement un voire le personnage que j'ai préféré dans toute la pièce.
Bref, j'ai non seulement adoré la pièce Électre, mais j'ai aussi adoré découvrir ce mythe à travers les yeux de Giraudoux. Les réécritures modernes de mythes sont peut-être plus abordables et moins impressionnantes que les tragédies plus classiques, et elles sont selon moi un très bon moyen de découvrir les mythes de l'antiquité et d'élargir sa culture. Mais le plus important selon moi est que les mythes nous font passer des émotions incroyables et nous parlent de l'Homme de façon très juste. Si j'aime les tragédies grecques et leur réécriture, c'est parce qu'elles sont vraies et nous ressemblent beaucoup plus qu'elles n'en ont l'air. Elles font parties des histoires parmi lesquelles je me reconnais le plus !
Et vous, dans quels types de livres vous reconnaissez-vous le mieux ? Connaissiez-vous l'histoire d'Electre ou une autre pièce de Giraudoux ?
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