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Et si vous partiez elever des chevres au canada ?

Publié le 01 mars 2015 par Aelezig

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Article de Lexpress.com février 2015

Alors que le Salon de l'agriculture ouvre ses portes à Paris, les Canadiens cherchent des repreneurs pour leurs exploitations. Rencontre avec un Belge qui a racheté une fromagerie au Nouveau-Brunswick

"Il m'arrive parfois d'être complètement isolé pendant une semaine", avoue en souriant Didier Laurent, le propriétaire de la Fromagerie Au fond des bois, à une heure de voiture de Moncton, au Nouveau-Brunswick, dans les Provinces maritimes du Canada. Une fois la Transcanadienne quittée, il faut en effet rouler pendant une quinzaine de kilomètres sur une petite route de campagne qui serpente entre maisonnettes de bois, bosquets et rivières, puis prendre un simple chemin pour rejoindre le domaine de 115 hectares. 

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La Fromagerie Au fond des bois porte bien son nom... En hiver, la sente est parfois impraticable en raison des chutes de neige. "L'an dernier, avec l'effet du vent, la température ressentie est descendue à ­ 48°C. Cette année, à seulement ­ 35°", poursuit ce Belge de 48 ans, natif de la région de Waterloo, dans le Brabant. Pas question, cependant, de rester inactif pendant ces périodes de froid et d'isolement. Didier est un bourreau de travail. "Je fais du chorizo, du jambon, du sirop d'érable", énumère-t-il.  

Mais son occupation principale, qui le prend souvent de 6 heures du matin à 21 heures, c'est son élevage de chèvres. Quelque 300 au total, dont 150 chevreaux qui viennent de naître, au creux de l'hiver. Et, associée à l'élevage, la fabrication de fromages. Une trentaine de variétés, de la tome au crottin, qu'il vend désormais à travers la province, sur les marchés, aux grands épiciers et aux restaurants. "J'aime bien expérimenter", explique cet ancien professionnel de la restauration qui a même été, alors qu'il travaillait chez un traiteur, le maître d'hôtel attitré du roi des Belges, officiant lors de toutes les cérémonies familiales, des anniversaires aux baptêmes. 

Affranchi de la tradition

S'il connaît le Gotha, il n'en était pas de même des chèvres. On peut même dire qu'il était un parfait néophyte en la matière avant d'acheter sa ferme ! Ce côté béotien le sert, cependant, en l'affranchissant de la tradition. Ses prédécesseurs, des Belges, eux aussi, qui avaient lancé l'affaire en défrichant le terrain pour y construire une vraie "cabane au Canada", avaient misé sur une offre limitée, cantonnée aux recettes traditionnelles. Didier, lui, a opté pour une stratégie plus novatrice et crée des fromages de chèvre aux canneberges, au sirop d'érable et aux noix, au poivre ou encore façon Boursin. Et ça marche ! Même si les consommateurs locaux, selon Didier, sont pourtant "plus enclins à acheter un simple cheddar" lorsqu'il s'agit de choisir un fromage. 

Toutefois, si les commandes affluent, le nouveau fermier ne s'estime pas tiré d'affaire. "Je suis à la croisée des chemins, dit-il, je devrais investir pour produire plus et satisfaire la nouvelle demande, mais je ne peux pas." Ses économies, provenant en partie de la vente de sa maison en Belgique, ont largement fondu. Alors qu'il travaille depuis près de deux ans, il ne se verse pas encore de salaire et a parfois du mal à payer certaines factures, comme le déneigement du chemin qui mène à sa ferme : 400 dollars CAN (environ 260 euros) à chaque grosse tempête. 

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Pourtant, il reste confiant. "Je n'ai jamais eu peur de travailler et je suis maintenant passionné par le fromage", dit-il. Après une première année de vaches enragées, qui l'ont fait lever encore plus tôt et travailler encore plus tard, il souffle un peu. Il a embauché un employé qui s'occupe de la traite automatique des chèvres et se demande même si, pour faire face à la demande, il ne devrait pas faire venir du lait de chèvre du Québec et abandonner l'élevage pour se consacrer à la seule fabrication. D'autant plus qu'un grand distributeur de Toronto vient de lui demander l'impossible pour l'instant : un engagement sur trois tonnes de fromage par an ! 

Coup de foudre

"Ce que je souhaite en tout cas, c'est laisser quelque chose à mes enfants." Restés avec leurs mères en Belgique, ses cinq garçons, issus de deux unions, viennent à chaque période de vacances scolaires dans la ferme paternelle. "Ils s'amusent bien", affirme leur père avec une pointe de nostalgie, celle de ne pas les voir plus souvent. Le fromager ne regrette pas son choix, cependant. "J'ai eu le coup de foudre pour cet endroit", raconte-t-il. Fatigué de la restauration et de certains de ses congénères, rêvant d'animaux, de nature et de grands espaces, il commence à penser au Canada vers 2010, puis prospecte, via Internet. 

Il se rend sur place et visite des auberges à reprendre, comme cette table champêtre près de Gatineau, au Québec. Mais c'est finalement la petite annonce d'une ferme à vendre au Nouveau-Brunswick, qui retient son attention. Pendant l'été 2011, il découvre les lieux et tombe sous le charme. Les bois, la rivière, la nature - et les chèvres -, tout le séduit. Il boucle l'achat pour 940 000 $ CAN (environ 610 000 euros) l'année suivante, avec ses économies et un prêt d'une banque canadienne. 

Deux ans et demi plus tard, l'émerveillement est intact. "De la terrasse, l'été, près de la rivière, on peut voir des aigles à tête blanche ou des orignaux. Et la nuit, on entend des coyotes !" s'enthousiasme-t-il. Didier est encore loin d'avoir fait le tour, au sens propre du terme, de toutes les merveilles du lieu. Il s'est déjà perdu sur sa propriété et a dû faire appel à un voisin pour le guider par téléphone ! 

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Aujourd'hui, Didier Laurent est heureux. Il a réussi à se faire des amis dans la région - des Belges rencontrés par hasard dans un garage sur la route, ainsi que d'autres immigrants comme lui, sans oublier ses voisins, avec qui il pratique son anglais rudimentaire. Bien obligé, puisque sa ferme est située dans la seule poche anglophone d'une région à majorité francophone ! 

Mais ses amis tentent aussi de parler le français. Il assure d'ailleurs n'avoir jamais eu de problèmes linguistiques depuis son arrivée. "Les gens, ici, sont très sympas, très tolérants", reconnaît-il. Sa nouvelle compagne, Johanne, une Québécoise qui travaille une semaine par mois à Montréal et vit le reste du temps à la ferme, n'est évidemment pas étrangère à son nouveau bonheur... Les deux tourtereaux comptent se marier dans les mois qui viennent. 

Bien sûr, il ne va pas au cinéma, le seul dans la région étant à Moncton, à une heure de voiture de sa ferme, et encore moins au musée, mais il ne se lasse pas de cette nature tour à tour joyeuse ou apaisante, selon les saisons. En guise de distraction, il préfère maintenant surfer pendant des heures sur Internet pour trouver des solutions destinées à rentabiliser sa production ­ ses chèvres produiraient-elles plus de lait avec de la musique dans l'étable, par exemple ?­, tenter d'améliorer une recette ou étudier les produits de ses concurrents canadiens. "Je ne regrette vraiment pas d'avoir quitté la Belgique", assure ce Wallon qui a l'intention de demander prochainement sa naturalisation. "Un ami m'a dit un jour que j'avais trouvé mon royaume, c'est vrai, dit-il en riant. Mais contrairement au roi des Belges, mes sujets sont à quatre pattes !

Une province accueillante

Le Nouveau-Brunswick est aussi grand que la Belgique et les Pays-Bas réunis. Près du tiers de la population est constitué de francophones, présents essentiellement dans le nord et l'est de la province. C'est la seule province à être officiellement bilingue, c'est-à-dire que les deux langues ont un statut égal. La qualité de vie y est, avec le bilinguisme, l'un des éléments avancé par les autorités pour attirer les nouveaux venus. Au-delà des salariés, elle cherche également à séduire les entrepreneurs, une politique qui s'inscrit dans un vaste plan adopté par le gouvernement provincial afin de faire évoluer l'économie traditionnelle, fondée principalement sur la foresterie, la pêche, l'agriculture et les ressources naturelles. 

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La province mise aujourd'hui sur l'industrie de fabrication à haute spécialisation, ainsi que sur les biosciences, l'aérospatiale, la défense et le tourisme. Le Nouveau-Brunswick met en avant plusieurs atouts ; des coûts salariaux et d'exploitation plus faibles qu'ailleurs au Canada et aux Etats-Unis ; des avantages financiers, sous forme de crédits d'impôts et le taux d'imposition des sociétés le plus bas des provinces maritimes, à 12 %. 

Les entrepreneurs étrangers peuvent aussi bénéficier de programmes de mentorat, ainsi que de guides en tout genre pour faciliter le démarrage de leur affaire et en assurer la pérennité, de même qu'ils peuvent consulter le site web affichant les entreprises à vendre et participer à des opérations de réseautage. 


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